Un vol de raisin en 1782

Dans les liasses des juridictions d'Ancien Régime (conservées dans la série B des Archives départementales de la Charente-Maritime), nous relevons plusieurs affaires relatives à Angoulins. Parmi celles-ci, présentons ici une simple information judiciaire (1) faite le 25 octobre 1782 par un avocat au siège présidial de la ville de La Rochelle en l'absence des officiers de la sénéchaussée.
La requête est effectuée par un "bourgeois", demeurant au bourg d'Angoulins,  Pierre Touffreau (2). Ce dernier agit contre deux angoulinoises qu'il accuse de vol de raisins et de dégâts causés à ses vignes.
Dans sa déposition, il déclare que la veille, "sur environ les quatre heures du soir, étant à continuer ses vendanges et étant allé dans le fief des Chirats pour y ramasser du rouge, il fut singulièrement surpris de trouver dans sa vigne la veuve Bonneau (3), marchande de balais, et la nommée Bonneau dite Gruzeline (4), sa fille ainée, demeurant au dit Angoulins, qui coupaient ses raisins et les mettaient dans des basses et bazennes qui étaient sur leurs deux chevaux qu'elles avaient auprès d'elles". Alors qu'il s'approcha "elles montèrent sur leurs chevaux et s'en allèrent et emportèrent les raisins qu'elles avaient coupé". L'affaire pourrait sembler assez anecdotique mais elle est toutefois révélatrice d'une pratique clandestine installée et très préjudiciable : en ce sens, la lecture de la déposition laisse transpirer l'exaspération ressentie par les propriétaires victimes de ces vols, le plaignant affirmant pour sa part être "continuellement exposé à de semblables pertes". C'est d'ailleurs autant l'enlèvement des raisins que le dommage que font les chevaux en piétinant dans les vignes qui affecte les profits des propriétaires.

La procédure permettant la manifestation de la vérité, consistait notamment à entendre les témoins. C'est ainsi que sont recueillis six récits, plus ou moins circonstanciés, qu'il faut prendre comme autant d'angles de vue particuliers sur les événements du 24 octobre 1782 :

- Pierre Labbé, jardinier, âgé de 37 ans, demeurant ordinairement à Marennes et depuis 15 jours (5) au bourg d'Angoulins chez le sieur Touffreau, dit et dépose que "le jour d'hier sur les 5 heures du soir ayant été dans la vigne du sieur Touffreau pour y ramasser de la vendange rouge il y trouva deux femmes qui conduisaient chacune un cheval sur l'un desquels il remarqua des paniers ronds dans lesquels il y avait des raisins rouges, que les paniers étaient à moitié pleins, qu'il y avait sur l'autre cheval une paire de basennes, mais qu'il ne pu pas voir ce qu'il y avait dedans, que le sieur Touffreau qui était avec le déposant demanda à ces femmes de quel droit elles venaient vendanger dans sa vigne, qu'alors elles voulurent lui remettre les raisins et le prièrent de les reprendre, que le dit Touffreau répondit qu'il ne voulait pas les reprendre et que la justice en déciderait"

- Marie Lécluzeau (6), fille de François Lécluzeau laboureur et vigneron, âgée de 14 ans demeurant à Angoulins dit et dépose que "le jour d'hier sur les quatre heures du soir allant avec les autres vendangeurs du sieur Touffreau pour ramasser la vendange rouge, elle vit dans la vigne du dit Touffreau la veuve Bonneau avec deux chevaux sur l'un desquels il y avait une paire de basennes et sur l'autre une paire de mannequins ronds dans lesquels il pouvait y avoir environ deux paniers de vendange que la fille de la dite Bonneau était dans la vigne du sieur Seignette que Touffreau s'étant plaint de ce que la dite Bonneau venait dans sa vigne lui voler ses raisins et l'ayant menacé de la poursuivre en justice, elle le conjura de ne point lui faire de peine, lui offrant de lui remettre et de de porter chez lui le raisin qu'elle lui avait pris"

- Jean Cyprais (7), fils de Pierre Cyprais (8) laboureur à bras et vigneron, âgé de 17 ans demeurant au bourg d'Angoulins dit et dépose que "hier soir sur les cinq heures entrant dans la vigne du sieur Touffreau il y vit la veuve Bonneau qui tenait le licol de deux chevaux sur l'un desquels il y avait des bazennes et sur l'autres des mannequins ronds dans lesquels il distingua la valeur de deux paniers de raisins, qu'il vit la dite veuve Bonneau qui coupait les raisins Balzac dans la vigne du dit Touffreau et que sa fille était dans une vigne à côté appartenant au sieur Seignette, que le sieur Touffreau dit à ses vendangeurs d'arrêter les chevaux de cette femme et de les conduire chez lui, que la dite Bonneau s'y opposa de toutes ses forces et qu'on ne pu pas lui arracher le licol des mains qu'alors le dit Touffreau dit de la laisser aller, que cette femme le suivit, le conjurant de reprendre les raisins, que celui-ci n'ayant pas voulu les recevoir, elle les jeta au coin d'un mur"

- Pierre Boisseau (9), laboureur et bordier (10) du sieur Touffreau, âgé de 43 ans demeurant au bourg d'Angoulins dit et dépose "qu'étant au treuil du sieur Touffreau, il vit entrer dans la cour la veuve Bonneau conduisant un cheval sur lequel il y avait deux bazennes pleines à moitié de raisins que cette femme conjurait le sieur Touffreau de reprendre ses raisins lui offrant en outre six francs pour le dommage qu'elle lui avait causé, ce que celui ci ne voulut point accepter lui déclarant qu'il voulait la poursuivre en justice, que la dite Bonneau n'ayant pu obtenir grâce jeta le raisin qui était dans ses paniers dans la cour et se retira"

- Jean Morisset (11) laboureur, fils de François Morisset (12) demeurant à Angoulins, âgé de 21 ans dit et dépose que "le jour et heure coté par la plainte étant à environ 40 pas de la vigne de Touffreau il aperçut la nommée Bonneau et sa fille qui étaient dans la dite vigne qui se courbaient comme pour ramasser du raisin sans néanmoins pouvoir dire qu'elles en aient cueilli, qu'il vit bien les deux chevaux de la Bonneau sur l'un desquels il y avait des bazennes et sur l'autre des mannequins mais que ces chevaux étaient dans la raise qui sépare la dite vigne d'une autre à côté"

Ainsi désignées par l'ensemble des témoins la veuve Bonneau et la Bonneau dite Gruzeline sa fille sont sommées de comparaître pour "être ouies sur les faits" dans le début de novembre 1782. Malheureusement le dossier de la juridiction ne nous livre pas d'autres pièces pouvant nous permettre de documenter l'épilogue de cette histoire. En filigrane de cette affaire, les lignes de cette procédure nous auront toutefois permis d'éclairer un peu mieux, l'activité de vendanges, à Angoulins, à la fin du XVIIIe siècle.




---
Notes 

(1) ADCM, B 1771

(2)  Fils de Michel et de Suzanne Besse. Nous le trouvons bourgeois, procureur du marquis de St Pierre d'Oléron et premier huissier audiencier de la juridiction consulaire de La Rochelle. Il apparaît pour la première fois à Angoulins le 8 août 1780 lors de son union avec Marie Madeleine Désiré (1728-1783) la fille du farinier du moulin du Pont de la Pierre. Seules trois minutes notariales l'impliquant nous sont connues à ce jour : Le 12 septembre 1784, lors d'une vente de fruits sur 6 quartiers de vignes lui appartenant.  Pierre Touffreau demeure encore à Angoulins ; Le 14 janvier 1785, Pierre Touffreau qui ne réside plus à Angoulins mais rue du Coq à La Rochelle, donne des vignes en fermage à Louis Gatineau ; Le 2 mai 1786, il habite toujours à La Rochelle, quand il s'oblige envers Michel Raclaud pour la somme de 539 livres pour des labours, voyages et charrois. 

(3) Suzanne Besson (1722-1790). S'est déjà faite connaître défavorablement en 1756 pour des violences s'obligeant à la considérable somme de 105 livres de dommages et intérêts envers sa victime. Elle est âgée, au moment des faits qui nous intéressent, de 60 ans et est alors veuve depuis 6 années de Jacques Bonneau (1716-1776). Ce dernier fut bien balayeur, marchand ou faiseur de balais comme le furent aussi son père Jacques (ou Jean-Jacques) (marié à Puyravault en 1714), son oncle François (1698-1765) ainsi que son grand-père Pierre Bonneau. 

(4)  Marie Bonneau (1751-1794), alors âgée de 30 ans, se mariera douze années plus tard, juste avant de décéder, avec Jean Triaud.

(5) Il s'agit donc là d'un travailleur saisonnier, activité que l'on retrouve désignée par ailleurs sous le terme de "journalier"

(6) n'apparaît pas dans les registres paroissiaux, cette jeune fille d'une autre paroisse, doit être au service de Pierre Touffreau  

(7) (1764-1801)

(8) (1731-1791)

(9) Pierre Boisseau semble s'installer à Angoulins après 1778 mais seulement pour quelques années. Marié à Françoise Jourdain : de cette union sont issus plusieurs enfants nés à Angoulins entre 1780 et 1784. En dehors de cette fourchette, aucune trace de lui.

(10) L'acte de ferme ne nous est pas connu

(11) (1759-1805)

(12) (1736-1797)




Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire