Aujourd'hui
noyée dans l'urbanisation, une ancienne chapelle, dédiée à Sainte-Radegonde et
édifiée au XIIe S, demeure, pour ainsi dire, méconnue du grand public. Même
pour le curieux, la littérature demeure assez indigente[1] sur l'existence de cette dépendance du prieuré Saint-Gilles de
Surgères.
Au demeurant, le site figure bien sur la carte
archéologique, notamment grâce à l'intérêt que lui ont porté des érudits comme
Pierre Clion (qui évoqua l'édifice dans ses "itinéraires
archéologiques"[2]), Jean Métayer[3], Yves Blomme[4] ou encore quelques autres. Au dossier de la DRAC, figurent aussi les
deux petites campagnes de relevés et mesures dont la chapelle a fait l'objet :
l'un mené dans les années 1980 par Marc Briand, Christian Costes et Daniel
Orgerit, et l'autre en 1996 par deux étudiantes Fathia Al Fakery et Florence
Ally[5]
.
Nous devons le
seul écrit documentant un peu le site - article peu connu[6] - à Jean Joguet qui tenta de dresser un historique et une description
des lieux, et dont nous vous rapportons ici quelques passages : (...) Le
visiteur qui arrive à Angoulins par la route de La Rochelle est surpris par
l’aspect d’un bâtiment élancé qui lui rappelle, malgré les deux étables
adjacentes, quelque chapelle moyennâgeuse. Proche du cimetière actuel, au
milieu d’un vaste enclos, cette construction se remarque aisément. Mais combien
d’habitants d’Angoulins savent qu’il y avait là un prieuré et une chapelle dépendant
de l’antique maison hospitalière de Saint-Gilles de Surgères ? En 1009, le
comte de Poitou fondait à Surgères un prieuré qui devenait à la fin du même
siècle, grâce aux libéralités de Guillaume IX, duc de Guyenne et comte de
Poitou, la “maison aulmosnière de Sainct Gilles”, un des hospices les plus
importants et les mieux dotés de toute l’Aquitaine. Ce furent sans doute les
mêmes ducs qui, au XIIe siècle, donnèrent au prieuré de Surgères les biens qui
devaient former le “membre” Sainte Radegonde d’Angoulins.
Angoulins,
alors, était florissant ; les marais salants, la vigne... étaient en pleine
prospérité depuis le Xe siècle. (...) Au carrefour de la route de Châtelaillon
à La Rochelle et du grand chemin saunier qui s’en allait vers Surgères, le
prieuré Sainte Radegonde était bien placé pour remplir son rôle d’hospitalité.
Ses origines
sont bien obscures. Pourtant, dès la fin du XIIe siècle, il y avait une
chapelle. En 1246, le “grand feu de Sainte Raagon” est inscrit au Terrier du
Grand fief d’Aulnis pour des cens dus au frère de Saint Louis, Alphonse, comte
de Poitiers. Dès le début, il y eut donc pour le prieuré une attribution de
bien et de revenus qui le rendit capable de subvenir aux besoins pressants des voyageurs indigents.
Il aurait été
vraiment intéressant de pouvoir dire comment l’hospitalité fut faite pendant
ces premiers siècles et au cours de la Guerre de Cent Ans ; malheureusement,
rien n’a été écrit à ce sujet (...) Et pourtant, après ces cents années de
misère, les maisons hospitalières ne se relèvent pas ; elles semblent avoir
perdu la notion de leur rôle bienfaisant ;
la grande lumière du Moyen-âge
est éteinte et il faudra attendre le XVII°siècle pour retrouver, du moins dans
les villes, le grand élan de charité dû à “monsieur Vincent”.
Cependant, le
prieuré et la chapelle Sainte Radegonde subsistaient, n’ayant subi, au cours
des guerres, aucun dommage apparent. Le rôle hospitalier semble terminé ; c’est
un prieuré composé de deux chanoines séculiers qui administrent ses biens et
parfois donne son aide au ministère paroissial. plus de cinquante articles sont
inscrits aux registres des biens immobiliers du prieuré : marais salants,
terres, vignes, maisons...
Même, les
prieurs étaient riches : Mathurin Fourestier ;, Jehan Maulhi qui, en 1530,
arrente une maison et des terres à un clerc de la paroisse. Puis c’est la
décadence en ce XVIe siècle où les guerres civiles et religieuses font rage ;
les prieurs ne résident plus et afferment les revenus de leurs prieuré à des laïcs.
En 1563, Thomas Socquet, prieur résidant à Puyraveau, afferme les revenus de
Sainte Radegonde à Jehan Cartault, procureur au présidial de La Rochelle.
En 1590, le
prieuré tombait même entre les mains d’un laïc, François de Benac sieur de
Clairac et seigneur du “Gros Sainte-Radegonde d’Angoulins” ; il afferme pour
trois ans à Jehan Ladignac, bourgeois de La Rochelle, les revenus soit “en le
temple ou la chapelle, jardins, marais salants...” pour une somme de 24 écus
sol. payable le premier novembre de chaque année.
A Surgères, à
cette même époque, une crise semblable entrainait la disparition des chanoines
de Saint-Gilles. Le 29 juillet 1600, Charles de Fonsèques, sire de Surgères,
transfère la “maison aulmonière” et toutes ses dépendances, aux Minimes de la
province de Tours, fondés au XVe siècle par saint François de Paule. Sous leur
ferme administration, Sainte Radegonde d’Angoulins reprend vie, mais ce n’est
plus qu’une succursale jalouse de ses revenus et prérogatives ; le temporel est
bien administré, la juridiction s’exerce sur le fief seigneurial, mais comme le
fait remarquer la visite pastorale du 10 août 1631, dans la chapelle, il n’est
fait aucun service.
Décadence qui
n’a fait que s’accentuer jusqu’au jour où les demoiselles Personnat ont permis,
pendant que l’église paroissiale se voûtait, à Jésus de redescendre quelques
fois dans ses murs.
(...) En 1796,
la chapelle était vendue comme bien national au citoyen Jean Laurent, maître de
barque à La Rochelle, pour 1361 francs. Somme dérisoire, alors que l
franc-assignat perdait chaque jour de sa valeur. Mais à quoi pouvait-elle
servir cette chapelle ? Hangar ou chai comme le propose l’expert dans son
procès verbal. Jean Laurent était d’ailleurs propriétaire des terres
environnantes et avait la servitude d’entretenir un chemin de trois pieds pour
y accéder.
“Ancienne
chapelle de neuf toises de long de d’hors en d’hors, quatre toises de large
idem ; en dedant, sept toises trois pieds de long, et deux toises cinq pieds
six pouces de large, ce qui donne environ trois pied trois pouces d’épaisseur
de mur. ayant en outre douze piliers de renfort en d’hors sur toutes les
façades de dix-huit pouces d’épaisseur et de trente pouces de large revêtu en
pierre de taille de marée. Laditte chapelle voutée en petits moellons taillés,
ayant du pavé de laditte chapelle à la clef de voûte de vingt-neuf à trente
pieds de hauteur ; le tout couvert de tuiles. L’élévation en d’hors, de
vingt-quatre pieds d’élévation au carré, et nous estimons qu’elle doit avoir
six pied de terrain tout autour ; le tout bâti à chaux et sable, surmonté d’un
petit campagnaud sans cloche ; partie des murs dégradés et sur la couverture un
grand quart des tuiles cassées..."
En 1796, la
situation n’est point brillante, mais cela devait durer depuis longtemps. Par
la suite cette construction fut déparée par l’adjonction de deux étables sur
ses côtés ; aussi, comme elle nous semble lourde aujourd’hui, cette chapelle
Sainte Radegonde, pauvre oiseau rivé à terre par deux ailes dont elles n’a
jamais voulues. Et puis ce petit campagnaud qui est tombé.
Malgré tout,
l’extérieur est encore remarquable. (...) La façade, épaulée par deux
contreforts, est percée d’un portail en arc brisé ; un cordon d’étoiles entoure
la voussure. Sous le pignon, il y avait une fenêtre longue ; il n’en reste
qu’une petite ouverture sous le plein cintre et une grande fenêtre élargie à la
base. Les murs latéraux sont renforcés par huit contreforts surmontés d’une
corniche posées sur trente-six modillons en cavet. Le chevet, droit, est épaulé
par deux contreforts et percé d’une longue fenêtre plus large que celle de la
façade dont ne subsistent que deux ouvertures sous l’arc et la base. Tous les
contreforts se terminent par deux légères retraites ; l’appareil des murs est
moyen. (...) A l'intérieur, près du chevet à droite, sont juxtaposées deux
niches servant de crédences ; elles sont moulurées de roses et autres ornements
dégradés; non loin, une porte en arc brisé s’ouvre vers l’extérieur. Deux
fenêtres ébrasées qui n’ont sans doute jamais été complètement ouvertes, se
remarquent sur les murs latéraux. La voûte en petit moellons est un cintre
brisé, supporté par une imposte. L’appareil est moyen en pierres fossilifères
assez grossièrement taillées et revêtues de plâtre ; on y remarque par endroits
de faux joints dessinés d’un trait brunâtre. (...)
En 2013, du 22
au 24 avril, l'INRAP[7] a mené une intervention archéologique avec pour objectif de vérifier
la présence d’éventuels vestiges en relation avec la chapelle. Cette opération,
dirigée par l'archéologue Séverine Magès, s'est déroulée sur un terrain d’une
superficie de plus de 4 800 m², mais, en dépit de la tradition orale rapportant
l'existence de sarcophages et d'ossements dans l'environnement immédiat du
bâtiment religieux, les six sondages réalisés lors de ce diagnostic, dans la
partie orientale du site, n’ont pas permis de confirmer la présence d'un
cimetière conventuel.
Aujourd'hui,
après avoir pu collecter un certain nombre de témoignages intéressant notre
histoire locale nous pensons être en mesure de proposer une localisation plus
précise de la zone des sépultures. En effet, il nous est parvenu l'existence
d'un acte daté de la seconde moitié du XVIIIe siècle mentionnant "le
cimetière du prieuré Sainte-Radegonde à Angoulins". Ces mots devaient
aussitôt éveiller notre attention puisque nulle part à notre connaissance dans
les archives n'apparaissait encore une telle mention. Mais, pour en savoir
plus, il nous fallait retrouver l'acte original. Sans indication de notaire, ni
même de date précise, la tâche paraissait ardue... Nous avons alors entreprit
de dépouiller les registres du contrôle des actes[8] en remontant le temps à partir de 1750. A force de patience, nous
avons pu repérer[9] un acte enregistré comme suit : "Baillette par les Minimes de
Surgères à demoiselle Jeanne Angélique Préjan Delabarre d'une maison et
domaines à Angoulin pour 93 livres par an passé par devant maitre Fleury
notaire à La Rochelle le 13 septembre 1747".
Bien
malheureusement, pour notre enquête l'acte ne figure plus aujourd'hui ni au
registre ni même à la liasse de l'année et du notaire en question et dont les
archives sont aux Archives départementales de la Charente-Maritime.
Croyant notre
enquête terminée, nous avons alors fait preuve d'une incroyable chance en
réussissant à mettre en relation dans nos bases informatiques la date retrouvée
pour l'acte avec celle d'un document encore non exploité après sa collecte par
l'association d'histoire d'Angoulins : en l'occurrence, une copie manuscrite de
la grosse de l'acte conservée elle même dans le dossier familial des familles
Ferrand, Laurent et Personnat.
C'est ainsi qu'à
la lecture de cette transcription, nous apprenons alors que François
Delacombre, religieux, mandataire des pères Minimes seigneurs et propriétaires
des fiefs et seigneurie de Sainte-Radegonde en la paroisse d'Angoulins, passa
cette transaction devant le notaire Fleury avec la demoiselle Jeanne Angélique
Préjent-Delabarre concernant ces biens à Angoulins. Dans le détail, la
baillette[10] évoque une maison "très vieille en ruine de quatre pièces basses
et trois hautes avec un four et droit de faire pâte, un jardin et une
ouche", trois casserons de terre "étant l'ancien cimetière", une
autre terre contenant un demi casseron et joignant la chapelle, ainsi que trois
pièces de marais salants. Charge à l'acquéreur, de réserver dans la maison une
chambre haute destinée à la juridiction de la seigneurie pour les assises des
tenanciers du prieuré, de faire dire chaque année quatre messes en la chapelle
(une à la fête de la Sainte Radegonde, trois au cours de l'année), de fournir
treize boisseaux de gros sel à la Saint-Michel (dont un pourra être de sel fin)
ainsi que 80 livres de rente foncière.
Pour notre
archéo-histoire angoulinoise les confrontations existantes dans l'acte sont
elles plus que précieuses : Voici comment sont désignés et orientés les biens
de l'acte: Concernant la maison en ruine, le jardin inculte et l'ouche de 3
casserons :
- orientations
de la maison et jardin : au Septentrion,
la chapelle ; à l'Occident un quereux où est une route pour aller à la chapelle
et terre servant de cimetière ; à l'Orient, la terre Chauvet François
appartenant à la seigneurie (fossé entre deux) ; et au Midi, le chemin
Angoulins à Cramahé.
- orientations
des trois casserons de terre étant l'ancien cimetière : au Septentrion, le
chemin du Pas des Eaux aux Tourettes ; à l'Occident le jardin des Bonfils ; à
l'Orient, terre confrontée au 3eme article, chapelle, vigne du sieur Oualle ;
et au Midi, petit quereux et route pour aller à la chapelle.
- orientations
du demi casseron de terre joignant la chapelle: au Septentrion, la terre de la
veuve Brochet et dans un coin le cimetière ; à l'Occident, 3 casserons du
cimetière cités au 2eme article ; à l'Orient, terre abandonnée Loisy ; et au
Midi, la chapelle.
Le quatrième
article consiste en trois pièces de marais salants (8 livres) en la prise de
Saint-Gilles en la paroisse d'Angoulins[11]
Les trois
premiers articles de la baillette nous permettent donc de dresser un premier
schéma (figure 1). Celui-ci transposé sur le parcellaire du cadastre
napoléonien se calque parfaitement et c'est ainsi que nous pouvons proposer de
localiser l'emplacement perdu du cimetière face à la façade orientale de la
chapelle (numéro 13, figure 2). Dans l'avenir, de futures interventions
préventives confirmeront peut-être toutes ces conclusions.
[2] Clion
Pierre, "Itinéraire archéologique", La lettre d'Archéaunis n°7, 1993
: Depuis la rue on aperçoit cette vieille
chapelle, dont le vocable indique une grande ancienneté, qui, intérieurement, a
conservée sa voûte en berceau du XIème siècle. Son seul décor est constitué,
dans le mur de droite, par une petite piscine liturgique du XIVème siècle
[3] Jean
Métayer, "Le prieuré Saint-Romard au Vieux Chatelaillon", Revue de la
Saintonge et de l'Aunis, 1998.
[4]
Blomme Yves, Eglises d'Aunis, Saint-Jean d'Angély, Bordesoules, 1993, page 29 :
Seule subsiste la chapelle du prieuré Sainte Radegonde, ancienne dépendance
de Saint-Gilles de Surgères. Transformée en bâtiment agricole, elle se présente
dans un remarquable état de conservation, ayant gardé sa voûte en berceau
brisé. Edifice du XII e siècle à chevet plat d'une très grande sobriété, elle
n'a pour ornement sculpté qu'une moulure en pointe de diamant au portail ouest
[5]
Al Fakery
Fatiha et Ally Florence, La chapelle Sainte-Radegonde d’Angoulins.
FLASH, La Rochelle 1995-1996. Dossier de UV en archéologie.
[6] article
exhumé et restitué dans Briand Denis (éditeur scientifique) Si Angoulins
m'était conté par Jean Joguet, Angoulins, Expression-Hist, 2010
[7] Séverine
MAGES, INRAP, "Diagnostic 9 rue François Personnat", BSR, 2013.
[8] Clé
d'accès aux fonds notariaux du XVIIIe siècle, le contrôle permet de retracer
les actes : rédigé sous forme de courts résumés donnant la nature de l'acte,
les principaux contractants, les sommes engagées, la date et le lieu de
rédaction, le nom du notaire concerné, le contrôle s'avère particulièrement
utile en l’absence des actes eux-mêmes
[9] registre
IIC 1677 f°43 verso, enregistrement du 14 septembre 1747
[10] Selon
la terminologie notariale, la baillette, issue de la féodalité, est une
transaction par laquelle un noble donne - à perpétuité - une terre à un
particulier en contrepartie du paiement du cens, d'une rente ou autre semblable
redevance annuelle. Le preneur ne peut se décharger de la baillette qu'en
retournant et abandonnant le fonds au bailleur.
[11] Pièce
1 : "Les 100 aires" (5 livres 4 aires) ; orient : marais de la cure
et marais de demoiselle Assailly ; occident : chenal commun qui abreuve les
marais ; septentrion : marais Oualle, ruisseau entre deux, petit chemin, marais
des Hospitalières de La Rochelle - Pièce 2 : "Les 40 aires" (2
livres) ; orient : Petit marais de La Fabrique ; occident : 40 aires de La
Fabrique ; septentrion : bosses des marais de la dame Esprinchard ; midi :
bosse commune appelée la Grande Eguille - Pièce 3 (16 aires) ; orient : marais
de la veuve Lacour ; occident : marais de la demoiselle Assailly ; septentrion
: bosse commune appelée la Grande Eguille ; midi : bosse de marais Reillon.
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