Une église disparue : Saint-Nazaire d’Angoulins (par jean Joguet)

Une église disparue : Saint-Nazaire d’Angoulins

Actes du XXe Congrès  des Soc. Sav. du Centre-Ouest

Au cours de l’année 1875, M. l’abbé Mongis, curé d’Angoulins/mer se promenant le long de la falaise de la presqu’île du Chay eut son attention attirée par des «ondulations ou sinuosités rentrantes se détachant en brun sensiblement rougeâtre sur le ton uniforme et gris pâle de toute la côte dans sa coupe verticale». Ces sinuosités rougeâtres étaient formées de terre arable remplissant des cavités «trapézoïdales». D’une de ces fosses, parmi un fouillis de coquillages, il tira un tibia humain. Les années suivantes, sous les auspices de la Société des Sciences Naturelles de La Rochelle qui connaissait bien la presqu’île puisque le pointe du Chay est un gisement fossilifère renommé, des fouilles furent entreprises dont l’abbé Mongis rendit compte. Cette étude imprécise, accompagnée d’un plan qui ne vaut mieux, apporte cependant quelques données positives. La nécropole s’étendait sur une longueur d’environ 400 mètres, de la falaise du Chirat au delà de la voie ferrée ; sa largeur, compte tenue de la partie emportée par la mer, serait d’une centaine de mètres.  Dans ce vaste cimetière grossier et primitif, mais qui semble s’améliorer vers l’intérieur, les fosses alternent, renfermant tantôt un squelette, tantôt deux, mêlés à des ossements d’animaux, à des débris de coquillages et à des poteries grossières. Folkloriste surtout, l’abbé Mongis recueillit les traditions légendaires du pays d’Aunis, dont celle du serpent Rô transfixé au Pont de la Pierre et inhumé à la Pointe du Chay sous la garde de sept chevaliers pétrifiés. La nécropole retrouvée fit parler les vieilles gens. On lui raconta la légende du puits des Mazureaux et de ses dames blanches, celle d’une ville engloutie appelée Montmorion. D’autres lui dirent qu’anciennement la presqu’île du Chay se nommait île Bazauges et que les rochers du petit Coivre cachaient une énorme cloche sonnant à la veille de grands malheurs. Et l’abbé Mongis de penser que ce pourrait être le cimetière de l’antique Monmeillan dont parle Amos Barbot. Mais, nulle part, malgré le toponyme «Bazauges» et la cloche, on ne voit évoquer la tradition ou la légende d’une église ayant existé en ce lieu. Il y en eut pourtant une qui s’appelait Saint-Nazaire d’Angoulins. De fondation ancienne et immémoriale, elle n’apparaît dans le cartulaire de Saint-Cyprien de Poitiers qu’au Xe siècle, au moment de la disparition d’une grande partie de ses biens notamment plusieurs centaines d’aires de salines. En 1002, l’église elle même et l’autre plus récente dédiée à Saint-Pierre, sont données par Guillaume V de Poitiers à l’abbaye de Bourgueil fondée par sa mère «Ecclesias siquidem duas eodem loco perpetualiter delegamus, quae sunt in Pago Pictavensi in territorio Alniensi in loco qui dicitur Ingolinus super fractam ripam. Est autem una ex his ecclesiis in honore sancti Nazarii, altera vero in honore sancti Petri.». Quelle vimère vint donc frapper la côte au point qu’Angoulins fût caractérisé par ces mots «super fractam ripam» ? On ne sait, mais aux alentours de l’an mil, les cataclysmes devinrent plus fréquents, comme le note un certain Martin donateur de salines à l’abbaye de Saint-Maixent «mundi termino appropinquante, ruinisque ejus crehescentibus...». L’église Saint-Nazaire dût en subir le choc, car la charte de 1002 est la dernière qui la cite. En 1068, lorsqu’Isembert de Châtelaillon établit les moines de Saint-Cyprien à Angoulins, il leur donne une seule église, Saint-Pierre, celle qui existe actuellement. Au début de mes recherches sur Angoulins, précisément sur ses origines chrétiennes, me souvenant de l’île Bazauges et de la nécropole, je pensais qu’il y avait eu primitivement un centre maritime de population dont Saint-Nazaire était l’église ; au XIe siècle, l’agglomération se serait déplacée pour se regrouper autour de la nouvelle église Saint-Pierre, au carrefour des vieux chemins de Châtelaillon et de Cramahé. Hypothèse séduisante, mais tenue en réserve pendant, plusieurs années sans pouvoir y apporter la moindre preuve. Cependant le souvenir de Saint-Nazaire était demeuré dans les actes notariés, car son nom désignait un lieu-dit ou plutôt le précisait. Dans une déclaration des domaines de Noël Raoul, datée de 1636, on lit en effet : “plus de deux tierces parties d’une escluse située en la mer en lad. paroisse d’Angoulins proche et joignant au port de Vinaigre, d’autre part à la mer et d’un bout à la côte appelée Saint Nazaire”. Le port Vinaigre dont il est question existe encore aujourd’hui sous le nom de Petit Port ; il est protégé par la pointe rocheuse dite de “Vinègre”  sur une carte de La Favollière datée de 1677. La côte Saint-Nazaire se trouve donc au Sud et c’est sa falaise qui porte les traces de sépultures décrites par l’abbé Mongis. A l’Ouest du port Vinaigre existe un lieu dit appelé “Chirat”, dont le nom évoque un amas de pierres. Sans autres preuves, j’y plaçais les ruines de Saint-Nazaire ou d’anciennes constructions d’autant plus que l’abbé Mongis y faisait remonter les limites de sa nécropole. Or, dans un acte notarié du 21 janvier 1536, une bourgne ou écluse à poissons est ainsi décrite : “... située et assize au Chérat tenent d’un cousté à la falaize de la mer, d’un bout aux terres vulgairement appelées les terres de feu Pierre Baillou, d’autre bout au chiron nommé Sainct Nezère...” Quelques mois plus tard, à l’occasion d’une nouvelle transaction, on lit avec plus de précisions : “une bourgne autrement escluze sytuée et assize sur la ryve de la mer au lieu nommé le chirat de Sainct Nazaire, tenant d’une part à la bourgne ou escluze de Pierre Mousse, d’autre part à la falaize de la mer et d’autre part audit chirat de Sainct Nazaire...”.
En 1536, il y avait donc, distinct de la falaise, un promontoire appelé chiron ou chirat de Saint-Nazaire portant les ruines de cette église. Un siècle plus tard, ce promontoire disparu, la falaise devenait par extension côte Saint-Nazaire. Aujourd’hui, il n’existe qu’un lieu dit nommé le Chirat, surplombant le port Vinaigre et la côte qui rappelle par ses amas de rochers la “fractam ripam” de l’an mil. De l’église, on ne pourra sans doute rien trouver, mais le site lui même mérite d’être fouillé. Il y a, d’après des fouilles sommaires de Gabet et Fontaine, des traces d’occupation gallo-romaine. Puissent ces quelques notes les aider et même les diriger vers ce “chirat” qui tire son nom des ruines de l’église disparue !

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