Accompagnant cette déambulation
dans les lieux, plusieurs gestes sont effectués afin de matérialiser réellement
et concrètement l’acte de translation de propriété.
Dans la maison en elle même
tout d’abord, il arrive parfois que l’acquéreur, afin de marquer son nouveau
statut, s’assoit à table, boive et mange : c’est le cas par exemple dans
un acte de prise de possession d'une maison à Saint-Vivien à la fin du premier
tiers du XVIIIe S par Michel Pelletier, marchand à Angoulins. Fait rarement vu
dans les archives lui aussi, il est question, au domaine du Pas des Eaux en
1739, de faire certifier par témoins que la nouvelle propriétaire, a bien
« couché et levé en la maison » [8].
Mais d’autres actions sont
toutefois plus fréquemment rencontrées, comme l’ouverture et la fermeture des portes
et fenêtres notamment ainsi qu’il en est question dans les six actes
que nous avons repérés. Le 15 mars 1724, les héritiers Guitteau souhaitant
prendre possession d’une maison et borderie ont ainsi « ouvert toutes les portes et fenêtres des
bâtiments destinés pour le logement du bordier et sur le champ fermé icelles »
mais le notaire de préciser que les « portes
et fenêtres du principal logement pour le maitre sont fermées en clef et de
verrous ce qui fait que nous n’avons pu en faire faire les ouvertures » [9]. Dix années plus tard, au
devant de l'église d'Angoulins, dans la maison du maitre et dans le logement du
métayer, nous assistons à la même scène puisque le couple de nouveaux
propriétaires a « ouvert et fermé
les portes » [10].
Ces gestes opérés sur les accès des habitations sont soit simplement évoqués une
seule fois dans l’acte pour l’ensemble de la maison (« ouvert et fermé les portes et fenêtres
d’icelle » [11] ; « désirant se mettre en possession, en a
ouvert les fenêtres » [12] ; « en a ouvert et
fermé les portes » [13]) ou bien, au contraire,
relatés plus en détail, comme en 1739 où, dans une autre métairie achetée, le
notaire les cite lors de la visite de chacune des pièces : « a ouvert et fermé la porte d’icelle chambre
qui joint au couroir ainsi que les deux fenêtres » ou bien « dans une autre chambre dans laquelle la dite Jarry a ouvert et fermé la
porte ainsi que les contrevents » [14]. Autre moyen courant, pour
les récents possédants, de marquer leur installation : faire du feu. En
1764, un marchand et son épouse souhaitent prendre possession d’une maison, rue
des Maitresses dans le bourg d’Angoulins, « à l’effet de quoi ils ont allumé le feu dans les cheminées de la dite
maison » [15]. Et cette action de se
remarquer dans tous les autres actes retrouvés (« où il y a des cheminées le dit Delacroix a allumé du feu » [16] ; « fait allumé du feu dans la cheminée qui y
est » [17] ;
« allumé du feu dans la cheminée » [18] ; « a allumé du
feu dans la cheminée » [19] ; « fait du feu dans la cheminée d’icelle
chambre » [20] ;
« dans une autre chambre dans
laquelle il y a une cheminée dans laquelle la dite Jarry a fait allumer du feu » [21]).
D’une manière plus marginale
apparemment, il arrive aussi que les acheteurs touchent les murs (« et ont gratté les murs » [22] ; « les requérants ont gratté le long des murs
des dits logements » [23] ; « a touché les murs » [24]) ou bien encore la
couverture de la maison (« et remué
des tuiles de la couverture de la dite maison aussi bien que à plusieurs autres
couvertures dépendant de la dite borderie » [25] ; « remué des tuiles des dits logements » [26]). De plus, quand les lieux
pris sont meublés, les nouveaux maîtres des lieux s’appliquent à déplacer le
mobilier de l’habitation : «ont remué les
chaises, tables et aussi les meubles des chambres de la dite maison et borderie » [27]. Ces gestes se réalisent
aussi dans les annexes de la maison où il est d’ailleurs question d’utiliser les
objets quand ils ont une fonction. Par exemple, dans le procès verbal de 1734, le
sieur Delacroix avec son épouse passent dans le cellier et l’appartement du
treuil et se servent dans les fûts vinaires : « y ont remué et changé de place quelques barriques pleines de
vin, percé icelles, tiré du vin » puis « ce fait ils ont descendus dans la cave dépendant de ladite maison dans
laquelle ils y ont aussi remué des pièces ainsi que dans une brûlerie où il y a
deux ponnes montées où ils ont dans icelle brûlerie remué pareillement
plusieurs pièces » [28]. D’ailleurs, dans cette même
brûlerie, les acheteurs vont même jusqu’à allumer la chaudière à eau de vie (« dans icelle brûlerie ont fait du feu »
[29]).
La visite des acquéreurs, du
notaire et des témoins se poursuit ensuite à l’extérieur. Tous vont vraiment partout
ainsi que le mentionne par exemple le notaire Crassous, lors de l’entrée en
jouissance d’une maison par les membres de la famille Oualle : « et a fait dans chaque endroit les actes
nécessaires pour prendre comme il a pris en effet possession réelle actuelle de
la dite maison et dépendances » [30]. Quelques exemples illustrent ce
curieux défilé : dans la cour d’une borderie (où les requérants ont « puisé
de l’eau au puits» [31] et « tiré des pierres » [32]), dans une salorge [33], voire même jusque dans des latrines : « ensuite ont entré dans la cour dépendant de
la dite borderie dans laquelle il y a une paire de latrines et ont ainsi qu’ils
ont fait dans tous les endroits et appartements de la dite maison principale
fait toutes les formalités requises et nécessaires pour prendre possession
réelle et corporelles » [34].
Le jardin, enfin, est lui
aussi l’objet du cérémonial. Citons ces héritiers, qui en 1750 désirant se
mettre en possession d’une maison qui leur revient, sont « entrés dans le jardin qui en dépend » [35] ou bien en 1734, où l’on
peut lire : « ensemble nous dit
notaire et témoins nous sommes transportés dans un jardin dépendant de la dite
borderie contenant environ un casseron renfermé de murailles dans lequel sont
plantés plusieurs arbres fruitiers de plusieurs espèces de fruits dans lequel
jardins sommes entrés (...) et fait comme dessus les formalités requises
pour la prise de possession» [36]. Ces
« formalités » évoquées par le notaire Brochard sont détaillées dans
les autres actes mis au jour : elles consistent à creuser ou toucher
le sol de l’ouche (« ensuite remué
de la terre » [37] ; « et sur le champ entré dans le jardin dans lequel ils auraient
remué de la terre » [38] ; « remué la terre du jardin» [39]), à désherber un peu (en
1760, le sieur de Vilson « est entré
dans le jardin a arraché de l’herbe »
[40] ; le dit Bertin en
1724 « a tiré des herbes » [41]) ou à symboliquement briser
des branches d’arbres, en particulier celles des arbres fruitiers (« ont cassé des branches des arbres » [42] ; « entré dans le
jardin (...) et cassé une branche d’arbre » [43]). Si le jardin est entouré
de murailles le propriétaire peut aussi « gratter
les murs » [44] (une seule mention observée).
Le rituel de prise de
possession ne s’arrête pas à l’emprise de la maison et son terrain. Il se
poursuit aussi sur l’ensemble des parcelles qui en relèvent. Dans l’acte de
1739, « afin de procéder à la
visite, prise de possession et procès verbal de l’état des terres, vignes
marais et bois » la requérante, le notaire et les témoins se déplacent
à pied puis à cheval « sur tous les
domaines dépendants de la borderie » [45]. C’est aussi le cas le 12
novembre 1734 où le notaire Brochard relate « avons monté à cheval et nous sommes transportés sur toutes les dites
pièces de terres et vignes que ci-dessus » [46]. Dans certains cas ces visites
et rituels peuvent alors durer toute une journée (la vacation d’un notaire
a par exemple duré jusqu’à « cinq
heures et demi du soir » pour « la
prise de possession et la rédaction du présent acte » [47]). Sur ces domaines, lorsqu’il s’agit de vignes, le cérémonial ressemble fortement à celui qui s’est tenu
dans le jardin comme le montre l’extrait suivant : « toujours accompagnés comme dessus de nous dit notaire et témoins
ils se sont transportés sur les vignes (...) et sur lesquelles aussi séparément
ont cassé et rompu des branches et sarments des vignes où il y en a, remué les
terres d’icelles ainsi que plusieurs pierres et arraché plusieurs herbes ».
D’autres mentions similaires nous sont connues via les minutes du notaire
Roy en 1764 (« a remué la terre
des vignes en dépendant » [48]), du notaire Brochard en
1724 (« transportés sur toutes les
vignes dépendantes de la borderie et ont aussi tiré des herbes et remué des terres » [49]) ou encore dans la liasse
du même pour 1739 où, peu avant les vendanges, l’acquéreur « a sur les vignes coupé des raisins, coupé du
pampre, cassé des branches de vignes, remué de la terre, tiré des pierres,
arrachés des herbes » [50]. Par contre, une seule
déambulation réellement ostentatoire sur la parcelle, nous est connue et ce à
Périgny par un angoulinois qui, sur une pièce de vigne, l’a « parcouru d’un bout à l’autre » avant
lui aussi de prendre de la terre, casser un bout de sarment au cep de vigne,
arracher de l’herbe et faire « les autres actes nécessaires
pour prendre possession réelle actuelle et corporelle ». Dans les champs
ou les lieux de pacage, des gestes tout à fait identiques sont réalisés ainsi qu’en
donnent un aperçu, la formulation du notaire Brochard « et même sur les autres terres non plantées ont aussi remué de la
terre, tiré des herbes et jeté des pierres et enfin fait comme dessus les
formalités requises et nécessaires » [51], ou plus brièvement ces quelques autres exemples que nous avons pu
relever : « arraché des herbes
dans les terres aussi en dépendant » [52] ; « et ensuite s’est transporté sur un quartier
de terre et a arraché de l’herbe sur la dite terre » [53] ; « nous sommes transportés sur toutes les terres dépendantes de la borderie et ont aussi tiré des herbes et remué des
terres » [54] ;
« a remué de la terre, arraché des
herbes et enfin fait et accompli tous ce qu’il est nécessaire pour parvenir à
la prise de possession » [55] ; « et sur les autres terres remué et
tiré des pierres » [56] ; « ainsi que dans le pré arraché de l’herbe,
cassé des branches d’arbres » [57]. Malheureusement, la
prise de possession de 1764, par Claude Deletang et Renée Voix son épouse, ne
nous apprend rien du rituel qui a dû prendre place dans un petit marais salant [58] de 36 aires dépendant de
la maison acquise.
Enfin, une fois après avoir
« fait toutes les autres formalités
et cérémonies requises pour par eux en jouir faire et disposer comme de chose
leur appartenant » [59], deux mentions nous
prouvent qu’une formulation générale est prononcée verbalement par les
nouveaux maitres des lieux : « ont
déclaré qu’il se mettaient comme et fait ils seraient mis en possession des
dits lieux et cela à haute et intelligible voix à la manière accoutumée » [60] ; « cela fait que dans le même moment le dit
Bertin et sa femme et Guitteau nous ont dit et déclaré que de par le Roi notre
sire de justice ils se mettaient réellement et de fait en possession des
maisons jardins et autres de leurs dépendances (...) » [61]. Le notaire semble ensuite
s’enquérir une dernière fois que personne ne conteste la visite et n’a rien à
objecter (« et déclaré à haute voix
qu’ils se mettaient comme et fait nous les mettons réellement de fait en bonne
possession saisine réelle et actuelle généralement et entièrement fait et
observé toutes les cérémonies requises et nécessaires en pareille occasion sans
que qui que ce soit s’y soit opposé ni directement ni indirectement » [62] ; « et généralement et entièrement fait toutes
les cérémonies accoutumées être faites en pareille occasion requises et
nécessaires sans qu’aucune personne s’y soit opposé » [63]) avant d’officialiser
clairement l’entrée en possession (« dans
laquelle possession nous dit notaire l’avons mis et installé sans opposition de
la part de qui que ce soit pour en jouir et disposer » [64] ; « et enfin entièrement fait et accompli toutes
les formalités requises et nécessaires d’un véritable propriétaire au moyen de
quoi nous dit notaire avons mis et institué mettons et instituons de par le Roi
et justice la dite Jarry femme du dit Renault en possession réelle et
corporelle de tous les dits domaines à l’effet d’en pouvoir jouir, faire, user
et disposer au désir » [65]).
A l’instar de ces quelques actes, il existe aussi
des prises de possession relatives aux biens ecclésiastiques. Nous avons d’ailleurs
pu en retrouver certaines concernant l’église Saint-Pierre, ses dépendances (maison
curiale, terres, salines...) ou même pour des chapelles situées à Angoulins. Ces
procès-verbaux non moins remarquables feront l’objet d’une future note visant à
les faire connaître et à présenter ces autres cérémoniaux étonnants.
(article de Denis Briand)
[1]
EH
2000 : ADCM, Notaire BROCHARD, 3E 1890, sous liasse 1739, Prise de
possession maison du Pas des Eaux Louise Jarry (19/9/1739) ; EH
4225 : ADCM, Notaire CRASSOUS, 3E 759, Prise de possession d'héritages de
Vilson (17/9/1760) ; EH 4350 : ADCM, Notaire CRASSOUS, 3E 749, Prise
de possession d'une maison François Oualle et Louis Daudeteau époux de Marie Oualle
(23/9/1750) ; EH 4832 : ADCM, Notaire ROY, 3E 37, année 1764, Prise
de possession et arrentement d’une maison, terres, vignes et marais par Claude Deletang
et Renée Voix sa femme à la veuve Angoulon (1/8/1764) ; EH 1989 : ADCM,
Notaire BROCHARD, 3E 1883, sous liasse 1724, Prise de possession d’une maison,
borderie et dépendances Bertin - Lebeaud (15/3/1724) ; EH 1975 : ADCM,
Notaire BROCHARD, 3E1888, sous liasse 1734, Procès verbal d'une maison et
borderie et prise de possession Bertrand Delacroix - Dubois (12/11/1734).
[2] parfois accompagnés d’un état des lieux /
d’un procès verbal de visite
[3] EH 2000
[4] EH 1975
[5] par transport et arrentement à titre viager
en août 1734 devant le notaire Rigot
[6] EH 2000
[7] EH 4225
[8] EH 2000
[9] EH 1989
[10] EH 1975
[11] EH 4832
[12] EH 4350
[13] EH 4225
[14] EH 2000
[15] EH 4832
[18] EH 4350
[19] EH 4225
[20] EH 2000
[21] EH 2000
[23] EH 1989
[24] EH 4225
[26] EH 1989
[27] EH 1975
[30] EH 4350
[31] EH 1989
[32] EH 1989
[33] EH 4350
[35] EH 4350
[36] EH 1975
[37] EH 1975
[38] EH 1989
[39] EH 4832
[40] EH 4225
[41] EH 1989
[42] EH 1975
[43] EH 4225
[44] EH 1975
[45] EH 2000
[48] EH 4832
[49] EH 1989
[50] EH 2000
[51] EH 1975
[52] EH 4832
[53] EH 4225
[54] EH 1989
[55] EH 2000
[56] EH 2000
[57] EH 2000
[58] avec ses conches, jards et bossis
[59] EH 4832
[60] EH 1975
[61] EH 1989
[62] EH 1989
[63] EH 1989
[64] EH 4225
[65] EH 2000
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