Les gestes rituels lors des prises de possession de biens laïques à Angoulins au XVIIIe S

Parmi les nombreux actes notariés du XVIIIe siècle que nous avons pu compiler pour servir à l’histoire d’Angoulins, il est question, dans - seulement - six [1] d’entre eux, d’un cérémonial assez curieux effectué par des acquéreurs de biens fonciers. En effet, après la signature de cette demi douzaine d’actes translatifs nous avons pu lire et apprécier [2] de véritables rituels, autrefois appelés « prise de possession ». Consistant en un ensemble de gestes codifiés, ces scènes, assez bien décrites dans les procès-verbaux dressés par le notaire, n’avaient d’autre but que de préserver le nouveau maître des lieux d’éventuels ayants droit en le mettant en scène, devant témoins, en tant que « véritable propriétaire » [3]. Actant et montrant de la sorte la mutation de propriété de façon symbolique et effective, nous observons alors l’acheteur qui va et vient à sa guise dans les lieux acquis, sans rencontrer d’opposition, notamment celle de locataires si un bail court toujours (principalement de métayers pour les exploitations agricoles). Ainsi, le 12 novembre 1734 [4], le sieur Delacroix et sa femme, qui désirent prendre possession d’une maison et borderie acquise [5] trois mois auparavant de Jeanne Dubois veuve de Jean Burgaud, le font sous les yeux de la fermière encore en place : « et ils ont fait par ces présentes et cela en la présence de ladite veuve Burgaud qui n’y a formé aucun empêchement ». Le 19 septembre 1739, alors qu’elle entre en possession du domaine du Pas des Eaux [6], Louise Jarry, épouse Renault, accomplit elle aussi son cérémonial devant le couple Billot et Chauvet, les métayers. Cette faculté d’aller et venir est particulièrement bien soulignée lors de la prise de possession d’héritages du sieur De Vilson [7] datée du 17 septembre 1760 et dans laquelle le nouveau propriétaire « est entré librement dans les différents appartements de la dite maison » et « s’est promené » dans la cour et sur une pièce de terre.
Accompagnant cette déambulation dans les lieux, plusieurs gestes sont effectués afin de matérialiser réellement et concrètement l’acte de translation de propriété.
Dans la maison en elle même tout d’abord, il arrive parfois que l’acquéreur, afin de marquer son nouveau statut, s’assoit à table, boive et mange : c’est le cas par exemple dans un acte de prise de possession d'une maison à Saint-Vivien à la fin du premier tiers du XVIIIe S par Michel Pelletier, marchand à Angoulins. Fait rarement vu dans les archives lui aussi, il est question, au domaine du Pas des Eaux en 1739, de faire certifier par témoins que la nouvelle propriétaire, a bien « couché et levé en la maison » [8].
Mais d’autres actions sont toutefois plus fréquemment rencontrées, comme l’ouverture et la fermeture des portes et fenêtres notamment ainsi qu’il en est question dans les six actes que nous avons repérés. Le 15 mars 1724, les héritiers Guitteau souhaitant prendre possession d’une maison et borderie ont ainsi « ouvert toutes les portes et fenêtres des bâtiments destinés pour le logement du bordier et sur le champ fermé icelles » mais le notaire de préciser que les « portes et fenêtres du principal logement pour le maitre sont fermées en clef et de verrous ce qui fait que nous n’avons pu en faire faire les ouvertures »  [9]. Dix années plus tard, au devant de l'église d'Angoulins, dans la maison du maitre et dans le logement du métayer, nous assistons à la même scène puisque le couple de nouveaux propriétaires a « ouvert et fermé les portes » [10]. Ces gestes opérés sur les accès des habitations sont soit simplement évoqués une seule fois dans l’acte pour l’ensemble de la maison (« ouvert et fermé les portes et fenêtres d’icelle » [11] ; « désirant se mettre en possession, en a ouvert les fenêtres » [12] ; « en a ouvert et fermé les portes » [13]) ou bien, au contraire, relatés plus en détail, comme en 1739 où, dans une autre métairie achetée, le notaire les cite lors de la visite de chacune des pièces : « a ouvert et fermé la porte d’icelle chambre qui joint au couroir ainsi que les deux fenêtres » ou bien « dans une autre chambre dans laquelle la dite Jarry a ouvert et fermé la porte ainsi que les contrevents » [14]. Autre moyen courant, pour les récents possédants, de marquer leur installation : faire du feu. En 1764, un marchand et son épouse souhaitent prendre possession d’une maison, rue des Maitresses dans le bourg d’Angoulins, « à l’effet de quoi ils ont allumé le feu dans les cheminées de la dite maison » [15]. Et cette action de se remarquer dans tous les autres actes retrouvés (« où il y a des cheminées le dit Delacroix a allumé du feu » [16] ; « fait allumé du feu dans la cheminée qui y est » [17] ; « allumé du feu dans la cheminée » [18] ; « a allumé du feu dans la cheminée » [19] ; « fait du feu dans la cheminée d’icelle chambre » [20] ; « dans une autre chambre dans laquelle il y a une cheminée dans laquelle la dite Jarry a fait allumer du feu » [21]).
D’une manière plus marginale apparemment, il arrive aussi que les acheteurs touchent les murs (« et ont gratté les murs » [22] ; « les requérants ont gratté le long des murs des dits logements » [23] ; « a touché les murs » [24]) ou bien encore la couverture de la maison (« et remué des tuiles de la couverture de la dite maison aussi bien que à plusieurs autres couvertures dépendant de la dite borderie » [25] ; « remué des tuiles des dits logements » [26]). De plus, quand les lieux pris sont meublés, les nouveaux maîtres des lieux s’appliquent à déplacer le mobilier de l’habitation : «ont remué les chaises, tables et aussi les meubles des chambres de la dite maison et borderie » [27]. Ces gestes se réalisent aussi dans les annexes de la maison où il est d’ailleurs question d’utiliser les objets quand ils ont une fonction. Par exemple, dans le procès verbal de 1734, le sieur Delacroix avec son épouse passent dans le cellier et l’appartement du treuil et se servent dans les fûts vinaires : « y ont remué et changé de place quelques barriques pleines de vin, percé icelles, tiré du vin » puis « ce fait ils ont descendus dans la cave dépendant de ladite maison dans laquelle ils y ont aussi remué des pièces ainsi que dans une brûlerie où il y a deux ponnes montées où ils ont dans icelle brûlerie remué pareillement plusieurs pièces » [28]. D’ailleurs, dans cette même brûlerie, les acheteurs vont même jusqu’à allumer la chaudière à eau de vie (« dans icelle brûlerie ont fait du feu » [29]).
La visite des acquéreurs, du notaire et des témoins se poursuit ensuite à l’extérieur. Tous vont vraiment partout ainsi que le mentionne par exemple le notaire Crassous, lors de l’entrée en jouissance d’une maison par les membres de la famille Oualle : « et a fait dans chaque endroit les actes nécessaires pour prendre comme il a pris en effet possession réelle actuelle de la dite maison et dépendances » [30]. Quelques exemples illustrent ce curieux défilé : dans la cour d’une borderie (où les requérants ont  « puisé de l’eau au puits» [31] et « tiré des pierres » [32]), dans une salorge [33], voire même jusque dans des latrines : « ensuite ont entré dans la cour dépendant de la dite borderie dans laquelle il y a une paire de latrines et ont ainsi qu’ils ont fait dans tous les endroits et appartements de la dite maison principale fait toutes les formalités requises et nécessaires pour prendre possession réelle et corporelles » [34].
Le jardin, enfin, est lui aussi l’objet du cérémonial. Citons ces héritiers, qui en 1750 désirant se mettre en possession d’une maison qui leur revient, sont « entrés dans le jardin qui en dépend » [35] ou bien en 1734, où l’on peut lire : « ensemble nous dit notaire et témoins nous sommes transportés dans un jardin dépendant de la dite borderie contenant environ un casseron renfermé de murailles dans lequel sont plantés plusieurs arbres fruitiers de plusieurs espèces de fruits dans lequel jardins sommes entrés (...) et fait comme dessus les formalités requises pour la prise de possession» [36]. Ces « formalités » évoquées par le notaire Brochard sont détaillées dans les autres actes mis au jour : elles consistent à creuser ou toucher le sol de l’ouche (« ensuite remué de la terre » [37] ; « et sur le champ entré dans le jardin dans lequel ils auraient remué de la terre » [38] ; « remué la terre du jardin» [39]), à désherber un peu (en 1760, le sieur de Vilson « est entré dans le jardin a arraché de l’herbe » [40] ; le dit Bertin en 1724 « a tiré des herbes » [41]) ou à symboliquement briser des branches d’arbres, en particulier celles des arbres fruitiers (« ont cassé des branches des arbres » [42] ; « entré dans le jardin (...) et cassé une branche d’arbre » [43]). Si le jardin est entouré de murailles le propriétaire peut aussi « gratter les murs » [44] (une seule mention observée).
Le rituel de prise de possession ne s’arrête pas à l’emprise de la maison et son terrain. Il se poursuit aussi sur l’ensemble des parcelles qui en relèvent. Dans l’acte de 1739, « afin de procéder à la visite, prise de possession et procès verbal de l’état des terres, vignes marais et bois » la requérante, le notaire et les témoins se déplacent à pied puis à cheval « sur tous les domaines dépendants de la borderie » [45]. C’est aussi le cas le 12 novembre 1734 où le notaire Brochard relate « avons monté à cheval et nous sommes transportés sur toutes les dites pièces de terres et vignes que ci-dessus » [46]. Dans certains cas ces visites et rituels peuvent alors durer toute une journée (la vacation d’un notaire a par exemple duré jusqu’à « cinq heures et demi du soir » pour « la prise de possession et la rédaction du présent acte » [47]). Sur ces domaines, lorsqu’il s’agit de vignes, le cérémonial ressemble fortement à celui qui s’est tenu dans le jardin comme le montre l’extrait suivant : « toujours accompagnés comme dessus de nous dit notaire et témoins ils se sont transportés sur les vignes (...) et sur lesquelles aussi séparément ont cassé et rompu des branches et sarments des vignes où il y en a, remué les terres d’icelles ainsi que plusieurs pierres et arraché plusieurs herbes ». D’autres mentions similaires nous sont connues via les minutes du notaire Roy en 1764 (« a remué la terre des vignes en dépendant » [48]), du notaire Brochard en 1724 (« transportés sur toutes les vignes dépendantes de la borderie et ont aussi tiré des herbes et remué des terres » [49]) ou encore dans la liasse du même pour 1739 où, peu avant les vendanges, l’acquéreur « a sur les vignes coupé des raisins, coupé du pampre, cassé des branches de vignes, remué de la terre, tiré des pierres, arrachés des herbes » [50]. Par contre, une seule déambulation réellement ostentatoire sur la parcelle, nous est connue et ce à Périgny par un angoulinois qui, sur une pièce de vigne, l’a « parcouru d’un bout à l’autre » avant lui aussi de prendre de la terre, casser un bout de sarment au cep de vigne, arracher de l’herbe et faire « les autres actes nécessaires pour prendre possession réelle actuelle et corporelle ». Dans les champs ou les lieux de pacage, des gestes tout à fait identiques sont réalisés ainsi qu’en donnent un aperçu, la formulation du notaire Brochard « et même sur les autres terres non plantées ont aussi remué de la terre, tiré des herbes et jeté des pierres et enfin fait comme dessus les formalités requises et nécessaires » [51], ou plus brièvement ces quelques autres exemples que nous avons pu relever : « arraché des herbes dans les terres aussi en dépendant » [52] ; « et ensuite s’est transporté sur un quartier de terre et a arraché de l’herbe sur la dite terre » [53] ; « nous sommes transportés sur toutes les terres dépendantes de la borderie et ont aussi tiré des herbes et remué des terres » [54] ; « a remué de la terre, arraché des herbes et enfin fait et accompli tous ce qu’il est nécessaire pour parvenir à la prise de possession » [55] ; « et sur les autres terres remué et tiré des pierres » [56] ; « ainsi que dans le pré arraché de l’herbe, cassé des branches d’arbres » [57]. Malheureusement, la prise de possession de 1764, par Claude Deletang et Renée Voix son épouse, ne nous apprend rien du rituel qui a dû prendre place dans un petit marais salant [58] de 36 aires dépendant de la maison acquise.
Enfin, une fois après avoir « fait toutes les autres formalités et cérémonies requises pour par eux en jouir faire et disposer comme de chose leur appartenant » [59], deux mentions nous prouvent qu’une formulation générale est prononcée verbalement par les nouveaux maitres des lieux : « ont déclaré qu’il se mettaient comme et fait ils seraient mis en possession des dits lieux et cela à haute et intelligible voix à la manière accoutumée » [60] ; « cela fait que dans le même moment le dit Bertin et sa femme et Guitteau nous ont dit et déclaré que de par le Roi notre sire de justice ils se mettaient réellement et de fait en possession des maisons jardins et autres de leurs dépendances (...) » [61]. Le notaire semble ensuite s’enquérir une dernière fois que personne ne conteste la visite et n’a rien à objecter (« et déclaré à haute voix qu’ils se mettaient comme et fait nous les mettons réellement de fait en bonne possession saisine réelle et actuelle généralement et entièrement fait et observé toutes les cérémonies requises et nécessaires en pareille occasion sans que qui que ce soit s’y soit opposé ni directement ni indirectement » [62] ; « et généralement et entièrement fait toutes les cérémonies accoutumées être faites en pareille occasion requises et nécessaires sans qu’aucune personne s’y soit opposé » [63]) avant d’officialiser clairement l’entrée en possession (« dans laquelle possession nous dit notaire l’avons mis et installé sans opposition de la part de qui que ce soit pour en jouir et disposer » [64] ; « et enfin entièrement fait et accompli toutes les formalités requises et nécessaires d’un véritable propriétaire au moyen de quoi nous dit notaire avons mis et institué mettons et instituons de par le Roi et justice la dite Jarry femme du dit Renault en possession réelle et corporelle de tous les dits domaines à l’effet d’en pouvoir jouir, faire, user et disposer au désir » [65]).
A l’instar de ces quelques actes, il existe aussi des prises de possession relatives aux biens ecclésiastiques. Nous avons d’ailleurs pu en retrouver certaines concernant l’église Saint-Pierre, ses dépendances (maison curiale, terres, salines...) ou même pour des chapelles situées à Angoulins. Ces procès-verbaux non moins remarquables feront l’objet d’une future note visant à les faire connaître et à présenter ces autres cérémoniaux étonnants.

(article de Denis Briand)





[1] EH 2000 : ADCM, Notaire BROCHARD, 3E 1890, sous liasse 1739, Prise de possession maison du Pas des Eaux Louise Jarry (19/9/1739) ; EH 4225 : ADCM, Notaire CRASSOUS, 3E 759, Prise de possession d'héritages de Vilson (17/9/1760) ; EH 4350 : ADCM, Notaire CRASSOUS, 3E 749, Prise de possession d'une maison François Oualle et Louis Daudeteau époux de Marie Oualle (23/9/1750) ; EH 4832 : ADCM, Notaire ROY, 3E 37, année 1764, Prise de possession et arrentement d’une maison, terres, vignes et marais par Claude Deletang et Renée Voix sa femme à la veuve Angoulon (1/8/1764) ; EH 1989 : ADCM, Notaire BROCHARD, 3E 1883, sous liasse 1724, Prise de possession d’une maison, borderie et dépendances Bertin - Lebeaud  (15/3/1724) ; EH 1975 : ADCM, Notaire BROCHARD, 3E1888, sous liasse 1734, Procès verbal d'une maison et borderie et prise de possession Bertrand Delacroix - Dubois (12/11/1734).
[2] parfois accompagnés d’un état des lieux / d’un procès verbal de visite
[3] EH 2000
[4] EH 1975
[5] par transport et arrentement à titre viager en août 1734 devant le notaire Rigot
[6] EH 2000
[7] EH 4225
[8] EH 2000
[9] EH 1989
[10] EH 1975
[11] EH 4832
[12] EH 4350
[13] EH 4225
[14] EH 2000
[15] EH 4832
[16] EH 1975 
[17] EH 1989
[18] EH 4350
[19] EH 4225
[20] EH 2000
[21] EH 2000
[22] EH 1975 
[23] EH 1989
[24] EH 4225
[25] EH 1989
[26] EH 1989
[27] EH 1975
[28] EH 1975 
[29] EH 1975 
[30] EH 4350
[31] EH 1989
[32] EH 1989
[33] EH 4350
[34] EH 1975 
[35] EH 4350
[36] EH 1975
[37] EH 1975
[38] EH 1989
[39] EH 4832
[40] EH 4225
[41] EH 1989
[42] EH 1975
[43] EH 4225
[44] EH 1975
[45] EH 2000
[46] EH 1975 
[47] EH 1975 
[48] EH 4832
[49] EH 1989
[50] EH 2000
[51] EH 1975
[52] EH 4832
[53] EH 4225
[54] EH 1989
[55] EH 2000
[56] EH 2000
[57] EH 2000
[58] avec ses conches, jards et bossis
[59] EH 4832
[60] EH 1975 
[61] EH 1989
[62] EH 1989
[63] EH 1989
[64] EH 4225
[65] EH 2000

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