Un établissement hôtelier à Angoulins au XVIIIe siècle : l'auberge de la Croix Blanche


Les minutes des notaires rochelais peuvent parfois livrer des documents éclairant notre histoire angoulinoise. Parmi ceux que nous avons pu retrouver, nous avons isolé quelques amodiations et procès-verbaux permettant de découvrir une auberge inconnue du bourg d'Angoulins au XVIIIe siècle : la maison où pend pour enseigne la Croix Blanche.

Premiers éléments

Son existence, jusque là totalement absente de la littérature locale, nous a tout d'abord été révélée par un bail à ferme datant du premier quart de ce XVIIIe siècle. Le 19 avril 1724, Jean Bragneau, négociant à la La Rochelle, curateur aux biens de sa nièce Marie Madeleine Morel, passe un contrat de louage (1) pour une grande maison consistant en plusieurs chambres hautes et basses, cave, cellier, treuil à fûts, grenier à foin, écurie, cour, jardin par derrière. Le preneur est François Brunetière (2) époux de Marthe Baudry (3). Pour avoir la jouissance libre et paisible du bien avec les trois journaux de terre qui en dépendent, il s'oblige à payer un prix de 140 livres par an. La ferme est passée pour cinq années à compter de la fête de la Saint Jean-Baptiste (24 juin) 1724. Il succède alors à Antoine Brayé du Pavillon (4) qui en est le fermier sortant avec sa femme Marie Anne Bertrand (5).
Ce bail, nous apprend, par ailleurs, que la maison de la Croix Blanche fut donc auparavant la propriété de la communauté de Jules Cézar Morel (6) et de Madeleine Bragneau (7) , les parents de Marie Madeleine Morel. C'était le cas au moins depuis 1713 puisque c'est cette année là que l'épouse est inhumée la première dans le cimetière de la paroisse.
Le couple (8) laisse ensuite la maison en héritage après 1719 (9), date de la sépulture de ce propriétaire. Il conviendra donc de retrouver l'acte par lequel les curateurs ont affermé la maison et les terres en dépendant entre 1719 et 1724 au couple Brayé du Pavillon-Bertrand (période correspondant à la durée d'un bail).

Entre 1729 et 1745 les minutes sont indigentes et nous ne savons ni quand ni comment ces domaines passent aux mains de la famille Raclaud (10). En effet, cette dernière année, un nouveau contrat est passé devant maitre Fleury (11). Le bailleur, Pierre Jean, représente le seul fils mineur (12) de la communauté Raclaud-Baudry (13). La seule mention que nous trouvons pour cette période date de 1735 (14) alors que Jean Raclaud, désigné comme "marchand", signe un acte concernant 25 aires de marais salants la minute étant passée "en la maison du dit sieur Raclaud, auberge où pend pour enseigne la Croix Blanche".

Le bail de 1745

C'est donc le 25 juillet 1745, que le curateur de François Raclaud, après avoir fait faire des affiches à la porte de l'église par un huissier (15) entend donner à ferme au plus offrant et dernier enchérisseur pour cinq années la maison de la Croix Blanche ainsi que les biens qui en dépendent. Après plusieurs enchères, est adjugé à Marthe Baudry (16) veuve de Jérome Mallac (17) l'établissement ainsi que les terres et vignes qui lui sont rattachées (18), et ce moyennant 142 livres par an.
Le bail comportant une seconde maison et ses dépendances (19), la preneuse en conserve la jouissance pour elle et le même jour elle acte une sous-ferme (20) pour l'auberge et ses dépendances. C'est ainsi que Marthe Baudry afferme à compter du 21 septembre 1745 l'auberge de la Croix Blanche à Jean Gilbert et sa femme Marie Landais pour 142 livres annuellement.

Le procès verbal de 1745

Les charges et conditions des baux précédents n'avaient rien de particulier mais celui-ci stipule, par contre, qu'il devra être fait un procès verbal des biens. Nous avons pu aussi retrouver ce document et disposons ainsi d'un premier état des lieux de l'auberge (21). Le notaire dresse le rapport de la visite (22) le 23 septembre 1745, juste après l'entrée des preneurs. Il se transporte avec les parties en la dite maison de la Croix Blanche et constate des lieux défraîchis, toutes les couvertures et les murs en assez mauvais état. Quant aux vignes, elles sont "très déplantées", les terres sans labours depuis plusieurs années. La visite nous permet de prendre connaissance de l'auberge : la chambre basse principale, à laquelle on accède par deux portes, est éclairée par une fenêtre. De là, on peut entrer "en un petit réduit". La buanderie dispose d'une "mauvaise ponne montée" et comporte deux portes (l'une donne sur la rue, une autre donne dans la cour) et un accès par une trappe sur une cave. Le petit cellier donne côté rue. L'appartement du treuil (23) ouvre lui aussi du même côté ainsi que sur la cour. Celle-ci donne accès au jardin. Dans ce dernier, se trouve un puits commun dans le mur du midi ; il n'y a aucun arbre en espalier "seulement une douzaine d'arbres en plein" tant pruniers et amandiers, aucun légume, ni labour, depuis plus d'un an ; les murs y sont très dégradés avec notamment deux brèches et un "puits en partie comblé". Le notaire mentionne aussi deux écuries : l'une donne du côté de la cour (là la "mangeoire est assez bonne, les râteliers à moitié dégarnis", un grenier à foin dégarni de planches). A la suite, se trouve la seconde, qui est plus petite (avec une mangeoire assez bonne, un feniou sans planche). Un réduit servant d'entrée aux écuries donne sur la grande rue et dispose aussi d'une fenêtre en forme de décharge. De là, on entre aussi dans une petite chambre basse à plancher. Un premier escalier grimpe dans une chambre au-dessus du cellier. Il existe encore une chambre haute, au-dessus la buanderie (qui dispose d'une fenêtre du côté de la cour et d'une autre vue sur la rue) et une autre petite chambre. Un second escalier depuis la cour monte dans une autre chambre haute, avant que le notaire ne passe dans "une petite chambre au-dessus l'entrée des écuries" ainsi que dans la chambre haute "du coin". 

La ferme de 1750

Cinq années s'écoulent et le bail de 1745 expire déjà. François Raclaud, l'héritier de l'auberge, âgé alors de 17 ans, est donc toujours mineur et nous retrouvons de nouveau Pierre Jean le courtier d'eau de vie, son curateur, qui passe un nouvel acte de ferme. Le bail est conclu le 11 mars 1750 (24) pour cinq nouvelles années moyennant 190 livres annuellement (l'auberge elle même, à compter du 21 septembre 1750, les vignes et terres sont elles déjà entrées en vigueur depuis le 9 novembre 1749).
C'est Jean-Baptiste Huas (25) qui en devient alors le fermier, cautionné pour cela par Frédéric Melhope (26). Ancien marchand et aubergiste à Aytré, Jean-Baptiste Huas est marié depuis le 8 janvier 1743 à Marie-Madeleine Bouyer (27).  
L'acte nous détaille les biens. Tout d'abord la "maison où pend pour enseigne La Croix Blanche située au dit bourg et paroisse d'Angoulins consistant en plusieurs chambres tant hautes que basses, cour, jardin écuries". Nous apprenons qu'elle est sujette envers la châtellenie du dit Angoulins par chacun an au terme de Noel de 6 livres de cens et rente nobles, mais aussi de deux rentes foncières : l'une à "la dame veuve de Bonneuil ou ses héritiers de 45 livres par chacun an", et l'autre "à la dame veuve Journaud de 30 livres de rente aussi par chacun an". Les domaines dépendant du bien principal consistent eux en 9 pièces (une terre et huit vignes) :  un demi quartier de vignes au fief des Chirats, un demi quartier de vignes au fief des Russons, trois casserons de vignes au fief des Paradis, un tiers de quartier de vignes au fief des Bourins, un casseron de vignes au fief des Paradis, un tiers de quartier de vignes au fief des Bourins, trois quartiers de terre au fief des paradis, un demi quartier de terre au fief des Paradis et un casseron de vignes au fief des Paradis.

L'état des lieux de la maison en 1751

Quelques mois passent après l'entrée en vigueur du bail quand le 25 janvier 1751, au réquisitoire de Jean-Baptiste Huas, un nouveau procès verbal de visite est dressé (28). Ce document nous permet d'affiner notre connaissance des lieux en précisant quelques détails :
La chambre basse principale de la maison a sa porte d'entrée sur la grande rue (celle qui conduit du dit Angoulins à Rochefort). Elle dispose aussi d'un autre accès du côté du nord ("qui donne sur la rue qui joint ce "chemin rochelois"). Cette disposition indique que la pièce se trouve dans un angle de rue ce qui est d'ailleurs confirmé par l'emplacement des deux fenêtres. De là, on accède à une petite chambre basse éclairée par la grande rue vis a vis le Château d'Angoulins. Nous retrouvons encore les deux écuries : la grande ("avec crèche et râtelier passablement bons" et son feniou) a sa porte d'entrée qui donne sur "la grande rue dudit Angoulins" toujours vis a vis le château, la petite, avec crèche, râtelier et feniou, dispose de deux fenêtres "qui y sont aux murs du côté du midi". Dans l'appartement du treuil qui a deux accès au Nord et au Midi, le notaire observe un treuil et apparaux "presque neufs et qu'il n'y manque absolument rien".  Dans le jardin les murs ont besoin d'être relevés ayant une brèche de la longueur de 6 pieds. Là se trouvent les commodités (latrines). La cour ouvre sur la chambre basse servant de buanderie elle même ayant une autre porte sortant sur le "canton du dit bourg d'Angoulins" ; la ponne  de terre pour y faire la lessive est en bon état. Une autre petite chambre basse (joignant la buanderie et la chambre principale) a sa fenêtre qui "regarde sur le canton". Le cellier, avec cave au-dessous, a son accès sur la place publique lui aussi. A l'étage nous visitons les chambres hautes : la première au-dessus du cellier, a deux fenêtres dont l'une donne sur le canton. Une seconde chambre haute, au-dessus de la buanderie, a deux fenêtres elle aussi, dont une du coté de la cour. Encore, nous trouvons une troisième "petite chambre à côté". Comme nous l'avons vu en 1745, un autre escalier dessert les trois autres chambres hautes : celle au-dessus de la chambre basse (ou salon) a une fenêtre qui donne sur la rue du côté du château et une armoire dans le mur. Une autre grande chambre siège au-dessus de la chambre d'entrée et a deux fenêtres. Enfin, la dernière chambre qui se tient au-dessus d'une des écuries a sa fenêtre qui donne sur la rue. L'état général est à reprendre notamment les couvertures car il y a "plusieurs gouttières".

Le bail de 1754

Le 7 août 1754, survient le décès du fermier en place, Jean Baptiste Huas et un nouveau bail (29) est déjà appelé à être passé par le curateur de François Raclaud, ce dernier étant toujours mineur de quelques mois. Le bail à ferme des domaines et héritages Raclaud entend les terres et vignes au jour de la livraison et la maison où pend pour enseigne la Croix Blanche à la date du 21 septembre 1755. Le contrat est passé, là encore, pour 5 années. La maison (et les terres et vignes) sont une nouvelle fois brièvement détaillées comme dans l'acte de 1750 mais ont toutefois le mérite d'être confrontées. Nous pouvons alors mieux localiser l'auberge, confrontant au levant au grand chemin qui conduit de la Rochelle à Rochefort, du couchant au queureux du sieur Oualle, du midi au four banal, et du Nord au canton du dit Angoulins. Les affiches sont apposées les 17 novembre, 24 novembre et 15 décembre 1754. Comme à l'accoutumée, c'est à l'issue de la messe dominicale, devant la porte principale de l'église, que se déroulent les enchères au plus offrant : Madeleine Bouyer veuve Huas, la fermière sortante débute les offres à 100 livres et obtient la reconduction de son bail après plusieurs surenchères pour 181 livres annuelles.

La description mobilière de l'auberge (1754)

Avec intérêt, nous avons pu mettre au jour dans un important lot d'archives privées, l'inventaire après décès de l'aubergiste Jean-Baptiste Huas (30). Outre le fait que nous pouvons redécouvrir comment s'agencent les lieux en suivant le cheminement pièce après pièce du notaire et des experts, il est aussi particulièrement intéressant de prendre connaissance du mobilier présent.
La prisée des meubles et effets de l'auberge débute dans la cuisine "qui a son aspect sur le canton public". Dans cette pièce, salle de vie principale de la maison, se trouvent deux tables dont une grande, longue, en noyer, accompagnée de deux bancs de sapin et de dix chaises. L'armoire de cuisine, elle aussi en sapin, abrite les provisions de bouche, des pots et salières de faïence ainsi que deux grands couteaux. Un important ensemble de vaisselle est rangé sur le dressoir de sapin "de la maison de la Croix Blanche". Il comporte, un lot de faïences composé de trente-sept assiettes, huit saladiers, cinq pots, une cuvette, une écuelle, deux cuillères, deux bouteilles à huile, deux flacons, deux pots à confiture, une mauvaise théière. La vaisselle d'étain comporte elle vingt-quatre assiettes, cinq plats, une pinte, une chopine, douze cuillères. D'autres éléments en terre (terrine, quinze plats, assiettes) ou en bois (huit cuillères, un rouleau) jouxtent de nombreux cuivres (deux porte-mouchettes et mouchettes, cuillères à pot et à poëlon, friquet, poëlon, quatres chandeliers, deux marmites, deux tourtières, bassine, chandelier à queue, deux petits chaudrons, poëlon à trois pieds, chaudron, poëlonne, passette). La grande cheminée accueille une paire de chenets, un garde-cendre, pelle, pinsette, crémaillère, grill, trois-pieds, chambrière, grand tourne-broche, lèche-frites, poids, broches à viande. Sur le côté, dans l'évier de pierre, le notaire inventorie une fontaine de bois cerclée de fer, une buie de terre, un seau, des bouteilles, une chopine, un quart, un verrier en osier, douze gobelets, une carafe. Trois tableaux de papier à cadre de bois trônent sur les murs, alors que l'on trouve dans une petite armoire trois chandeliers à crochets et du linge. La chambre réservée au couple de tenanciers dans le bâtiment dispose de mobilier en noyer : un châlit, une table avec tapis de laine, un cabinet ouvrant à deux portes avec son tiroir. C'est dans ce meuble qu'est rangé le linge de la maison : nappes pleinières et ouvrées, draps de lit, essuies-mains, serviettes. C'est dans un second cabinet ouvrant à quatre portes et doté de trois tiroirs, que le couple Huas-Bouyer serre un ensemble d'effets personnels hétéroclite : leurs linges et hardes, montre en argent, souliers, boucles de souliers et de jarretière, tabatière, flûte à bec, rasoirs, flacon, salière, chapeau ainsi que divers papiers dont le rôle des taxes du dixième de la paroisse dont Jean-Baptiste Huas était le préposé à la recette ainsi que divers arrêts du bureau des Aides pour son débit de boisson. Proche, dans une petite armoire en sapin ouvrant à une porte, se trouve de l'argenterie (treize fourchettes, six cuillères...) et du linge destiné aux enfants. La cheminée est sommairement garnie (une paire de chenêts, pinsette et garde-cendre) à l'image du reste de la chambre basse où l'on ne trouve qu'un fusil "monté à gauche", deux miroirs (dont l'un de toilette) à cadre doré, une cuvette de faïence, six chaises et un fauteuil foncé de paille, ou encore quelques tableaux sur les murs. A noter, toutefois, la présence de plusieurs volumes de livres et d'une bible remisés dans une armoire dans le mur. La chambre à côté est presque vide : seuls sont relevés un miroir, deux estampes encadrées, un panier à salade et trois tables (dont l'une "en bois des îles avec le dessus d'ardoise et à pieds tournés"). Succède ensuite la visite de la buanderie : on y trouve un seau sans anse, un coquemard, des petits pots de terre, une poële à frire, une casserole de cuivre jaune, un grill, deux petits chaudrons, une poëllonne à lessive de cuivre rouge et diverses ferrailles (deux réchauds, une pelle, une crémaillière, une paire de chenêts, un trois-pieds, un autre grill, une chevrette). Suivent quelques contenants (barrique, basse, petit quart, une ancre). Comme nous avons pu le remarquer dans d'autres maisons angoulinoises, la buanderie est aussi l'espace réservé à la domesticité : ceci se confirme avec la présence de quelques meubles : une maie, deux tables en sapin, une armoire, un coffre et un "lit pour domestique". Dans un autre coin, l'inventaire énumère un ensemble d'outils pour jardiner et de menuiserie (arrosoir de fer blanc, outils avec leurs fers, varlope, établi, valet de fer). Dans la petite cour autour de laquelle s'organisent les bâtiments, sont entreposés un bassiot, une cage à poule ainsi qu'un tas d'un cent de sarments. Dans la première écurie, la prisée ne mentionne qu'un boyard et un autre cent de sarments dans le feniou. La seconde écurie, par contre, loge un cheval noir et son matériel (selle, bât, crochets, bazennes, bride, bridon, paire de boujettes). Ensuite, avec un accès qui se fait par la rue, la pièce qui joint l'écurie semble servir de remise, de grenier ainsi que d'espace de vie à la fois : nous y trouvons en effet 15 gerbes de froment, des futailles (tierçons et barriques et une grande enchère), des outils (une tranche, un feuillet, une grande scie, une meule à aiguiser) ainsi que du mobilier (un coffre, une armoire, une paillasse (avec ballière et couverte de laine, traversin et drap)). Attestant de l'activité de l'auberge (31), l'inventaire évoque une chambre "occupée par le sieur Petit, chirurgien". Il s'agit de la chambre située au-dessus du cellier et dans laquelle se trouve deux tables de sapin avec leurs pliants, trois chaises, une couchette avec sa paillasse. Une seconde chambre haute (celle qui siège au-dessus de la buanderie) est un peu plus fournie : un châlit en noyer à colonnes tournées (avec sa garniture de grosse serge brune et rubans jaunes, paillasse, lit, traversin, courtepointe), huit chaises, un fauteuil, une armoire de sapin, une table avec son tapis. Dans une autre chambre, assez petite pour être qualifiée de "cabinet", sont entreposés un dressoir, un verrier, une improbable "cage à perroquet", des cruches et pots ainsi qu'un ensemble de vêtements (redingote, habit, vestes, et culottes). A signaler aussi la présence remarquable d'un tambour et quatre baguettes qui interrogent : Jean-Baptiste Huas a-t-il eu par exemple un rôle de garde ou une activité singulière dans la milice garde-côte ? La chambre haute suivante semble être celle destinée à la servante de la maison. Elle se situe au-dessus de la chambre basse où est décédé l'aubergiste et est meublée comme suit : d'une table de sapin avec une plaque en ardoise, de quatre chaises, d'un châlit à l'antique en noyer garni ainsi que d'un cabinet à l'antique lui aussi en noyer ouvrant à quatre portes et fermant à clef avec deux petits tiroirs. Dans une autre chambre "sur la droite" nous relevons un châlit en noyer lui aussi garni, un grand coffre avec soubassement en noyer, une table en sapin et cinq chaises ainsi qu'une "grande boite en bois de caisse". Dans la dernière chambre haute, qui semble être celle de l'angle de la maison, le notaire note une table en noyer à pieds tournés, un fauteuil, et huit chaises. La décoration particulière, avec des estampes à cadre de bois et un miroir au mur ainsi que des rideaux de toile peinte aux croisées, témoigne du relatif soin apporté à cette pièce. Deux jolis châlits en attestent eux aussi : l'un est en noyer à colonnes avec sa garniture de cadis vert à ruban jonquille, l'autre à quenouille en bois des îles avec sa garniture en coton blanc à l'antique et à dentelle. Un cabinet de sapin peint ouvrant à deux pans ainsi que deux guéridons en noyer complètent l'ameublement. La prisée se poursuit au rez-de-chaussée dans le petit cellier qui jouxte la buanderie : là, le notaire y remarque un garde-manger, deux entonnoirs mais surtout diverses barriques (au nombre de huit) certaines en vidange dans lesquels les aubergistes y tirent vin chauché, vin balzac, vin blanc, vin gris. Dans un second cellier, servant aussi d'appartement au treuil de la maison sont dix-neuf fûts ordinaires, quatre tierçons, un charnier, trois paires de basses, deux ancres, une barrique de vin blanc ainsi qu'un treuil. L'inventaire des biens de la communauté Huas-Bouyer se poursuit par la suite dans un autre cellier détaché de l'auberge (où se trouve un grand treuil et diverses futailles à eau-de-vie) puis dans une autre maison située à La Jarne.

La mutation de propriété Raclaud-Biron

Au cours de son bail (32), la fermière Madeleine Bouyer veuve Huas se remarie avec Pierre-Pascal Tardy (33) employé dans les fermes du Roi, le 21 juin 1756. Le couple, trois années plus tard, le 24 décembre 1759 (34), acquiert une maison (et divers domaines), toute proche de l'auberge en passant un acte d'arrentement (35) avec leur propre bailleur de la Croix Blanche, Pierre Jean, qui fait encore pour le compte (36) de François Raclaud (cette fois majeur mais parti exercer son métier tonnelier sur les vaisseaux marchands). De retour de son voyage au long cours, François Raclaud ratifie cette transaction par acte du notaire Farjenel le 25 mars 1762 (37) et doit décéder dans les années suivantes. C'est alors Jean Biron, un meunier d'Angoulins, qui récupère, en 1772, la rente dont Tardy et sa femme (38) sont toujours débiteurs (laquelle rente il transportera très vite à Simon Louis Cottiby le 7 mai 1772 (39)).
C'est en fait par un jugement d'adjudication (40) en date du 14 janvier 1772 que Jean Biron récupère tous les immeubles et rentes foncières de François Raclaud (41). Parmi ces biens acquis à la barre de la cour de la Sénéchaussée de La Rochelle, nous retrouvons donc aussi l'auberge : Jean Biron reconnaît, par un titre nouvel daté du 15 mars 1775 (42), être propriétaire et possesseur "de la maison ou pend pour enseigne la Croix Blanche composée de trois chambres basses et trois hautes (43), un galetas, caveau, écurie et un jardin". Les confrontations ne nous enseignent rien de plus (44). Il promet donc de payer (et de continuer à payer à l'avenir) les arrérages et intérêts à la famille Vernon de Bonneuil. L'antipoque nous apprend ainsi que l'auberge et les domaines qui en dépendent sont affectés d'une rente de 45 livres annuelles. Nous apprenons que celle-ci a été transportée et cédée à la famille Beraudin alliés au Vernon de Bonneuil par Pierre Perrier et Marie Venu son épouse qui étaient eux mêmes propriétaires de la rente au moyen d'un contrat passé devant le notaire Rivière par eux fait à Gabriel Morel et Suzanne Moussant sa femme le 20 mars 1674 (45). Nous retrouvons donc là notre fameuse famille Morel-Bragneau évoquée vers 1715. Il semble en effet, en analysant l'arbre généalogique familial, que la famille Morel soit donc les propriétaires-aubergistes depuis 1674, de père en fils, de l'auberge. Il n'est ainsi pas étonnant de repérer Gabriel Morel (marié à Suzanne Moussant) à diverses reprises comme "hoste" (hôte) d'Angoulins (donc de la Croix Blanche) dans divers actes des registres paroissiaux vers la fin du XVIIe siècle. 

La division de la maison par Jean Biron

Quelques mois plus tard, le 2 novembre 1775, nous assistons, à la lecture de l'acte partage (46) des biens de Jean Biron, à la division de l'auberge. En effet, le marchand meunier, veuf de Marie Baron, souhaite préserver les intérêts de ses quatre enfants : son fils mineur Pierre Biron, Jean Biron son fils aîné lui aussi farinier, Thérèse Biron femme de François Veron laboureur, et Marguerite Biron femme de Louis Brisson tonnelier. Chacun étant héritier pour une quatrième partie de Marie Baron leur mère, le père organise alors le partage des biens immeubles qui étaient dans la communauté d'avec feue sa femme. Les lots 2 et 3 nous intéressent ici tout particulièrement puisqu'ils divisent la maison de la Croix Blanche en deux parties. La maison dans ces deux lots est ainsi décrite et confrontée : au lot 2, "une maison de deux chambres hautes et basses, cellier, écurie, latrines, cour vers le Nord avec aussi le queureux qui est entre la dite maison et le four banal un passage entre le dit four banal et le queureux, la moitié du jardin à prendre vers le midi et la moitié du petit queureux qui est au bout qui est au bout la aussi du côté du midi, droit de communauté au puits dans le jardin, confrontant la maison de l'orient au grand chemin La Rochelle Rochefort, du couchant au dit quereux, du midi au four banal le dit quereux et passage entre deux, du Nord aux maisons et bâtiments compris au lot 3" ; au lot 3, "une maison quatre chambres basses avec un cellier au bout le tout joignant et contigu avec le puits en dépendant et l'autre moitié du dit jardin à prendre du côté du Nord avec la moitié du dit petit queureux à prendre du côté du septentrion et droit de communauté au puits dans le jardin confrontant le tout ensemble de l'orient au grand chemin La Rochelle Rochefort, du couchant où est le dit jardin au queureux au bout joignant le terrain Delord, du midi aux maisons et bâtiments et cour compris au lot 2, murs communs, du Nord au canton et à la petite rue qui conduit du dit lieu au Château Gaillard." Scellant pour de bon la division de l'immeuble il est convenu "que les portes du haut et bas de communication de la dite maison seront masquées et murées à frais communs, aussi celle à un grand battant du cellier donnant sur la cour qui pourront seulement faire une ou deux croisées à 3 pieds de hauteur pour tirer du jour du côté de la dite cour."

La localisation exacte

Ce partage est précieux puisqu'il nous permet de faire le lien avec les propriétaires du début du XIXe siècle figurant sur la matrice cadastrale de 1811. De fait, nous pouvons aussi situer précisément l'emplacement de l'auberge sur le plan napoléonien et la localiser dans le bourg d'Angoulins... En effet, le lot 2 (47) (la partie Sud de la maison) échoit à François Verron et Thérèse Biron sa femme qui sont les parents de Louis Alexandre Veron  le propriétaire de la parcelle 638 du premier cadastre. Le lot 3 (la partie Nord de la maison) tombe quant à lui à Louis Brisson et son épouse Marguerite Biron : Le couple malgré douze enfants (onze décèdent en bas âge) n'aura pour seule héritière que Marguerite Brisson. Celle-ci apportera la moitié de la maison à la communauté qu'elle formera le 25 juin 1797 avec Jacques Marot, ce dernier figurant comme propriétaire de la parcelle 636 du cadastre napoléonien.


Le devenir de l'auberge

Jean Biron, qui récupère la bâtisse en 1772, semble conserver la maison comme lieu d'hébergement et de restauration ainsi que l'indique l'existence de "l'enseigne" en 1775 dans le titre nouvel. Mais le partage de 1775 entre les enfants Biron met-il un coup d'arrêt définitif à cet institution du bourg ? Rien n'est moins sûr, car d'après de rares mentions relevées ci et là, le couple Veron puis leurs enfants peuvent avoir conserver une petite activité d'aubergistes dans la partie de la bâtisse qui leur échoit. Mais la maison s'appelle-t-elle encore la Croix Blanche à la toute fin de l'Ancien Régime ? Autant de questions auxquelles nous nous appliquerons à répondre en poursuivant nos investigations !


(Article de Denis Briand)




[1] ADCM, Notaire BROCHARD, 3E 1892, Bail Bragneau à Brunetière, 19 avril 1724 - Notre référence : EH 2029.
[2] (? - 1726) Tonnelier, Marchand, Aubergiste de la Croix Blanche.
[3] (La Rochelle, 1698- Angoulins 1750)
[4] (Bouresse, 1681 - + Angoulins, 1736). On le trouve chirurgien, commis des fermes du Roi au bureau d'Angoulins, marchand, aubergiste et cabaretier entre 1713 et 1724 notamment à l'occasion de la naissance de neuf enfants à Angoulins.
[5] (La Rochelle, 1696 - Angoulins, 1744)
[6] (?, 1678 - Angoulins, 1719) Après son mariage le 26 janvier 1699 à Angoulins, nous relevons qu'il fut employé fermes du Roi, lieutenant et officier, capitaine de la milice d'Angoulins, marchand, fermier de l'auberge de la Croix Blanche.
[7] (? - Angoulins, 1713)
[8] Dix enfants connus sont nés à Angoulins entre 1699 et 1713.
[9] date de la sépulture de Jules Cézar Morel
[10] La réponse est peut-être apportée dans le titre nouvel en date du 19 juillet 1745 passé devant le notaire Nouveau : Titre nouvel par Pierre Jean curateur des mineurs Raclaud à demoiselle Vernon de Bonneuil de 45 L de rente par an .
[11] ADCM, Notaire FLEURY, 3E 1605, Bail Pierre Jean pour le mineur Raclaud à Baudry veuve Mallac, 25 juillet 1745 - Notre référence : EH 4566.
[12] cinq enfants nous sont connus de ce couple entre 1725 et 1734, mais un seul, François, né le 15 décembre 1732 à Angoulins, demeure encore vivant en 1745.
[13] Jean Raclaud aubergiste, tonnelier, marchand, aubergiste, cabaretier (Saint Rogatien, ? - Angoulins, 1738) marié le 14 septembre 1722 à La Rochelle avec Marie Anne Baudry (La Rochelle, 1702 - Angoulins, 1736). A noter cependant que Jean Raclaud s'est remarié à Angoulins le 24 mai 1736 avec la veuve Brayé, Marie Anne Bertrand, qui fut comme nous venons de le voir fermière de l'auberge entre 1719 et 1724. Remarquons aussi que la femme de Jean Raclaud, Marie-Anne Baudry, est la soeur de Marthe Baudry fermière de l'auberge avec son mari François Brunetière.
[14] ADCM, Notaire SAVARIT, 3 E 1908, Bail Jean Raclaud-Jacques Carré - Notre référence : EH 2362
[15] Lescuyer
[16] Marthe Baudry qui fut la fermière de la Croix Blanche de 1724 à 1729, après la mort de François Brunetière se remarie avec Jérome Mallac le 24 février 1727 à Angoulins, n'est autre que la tante du mineur François Raclaud comme nous l'avons vu dans la note 12.
[17] (Gimbrède, 1702 - Angoulins, 1743) marchand, marchand Brûleur, fabriqueur.
[18] Le bail se monte en réalité à 223 livres, les 81 livres de différence concernent une autre maison et ses dépendances.
[19] Nous en avons tout le détail dans un bail entre François Gobert procurateur de François Mallac lui même curateur des mineurs de Jérome Mallac et de Marthe Baudry qui afferme à Jean Désiré des biens et héritages appartenant à François Raclaud  fils de défunt Jean Raclaud et de Marie Baudry que la dite feue Baudry tenait à ferme de Pierre Jean étant le curateur du mineur François Raclaud. L'acte confronte cette seconde maison avec 13 autres articles de domaines qui en dépendent. Acte en collection particulière, Bail Gobert à Désiré, 4 juin 1750 - Notre référence : EH 337. 
[20] ADCM, Notaire FLEURY, 3E1605, Sous-ferme Baudry veuve Mallac à Gilbert, 25 juillet 1745 - Notre référence : EH 4567
[21] Les conditions du bail à ferme du 19/4/1724 stipulent que les preneurs peuvent faire un procès verbal si bon leur semble,  mais l'acte n'ayant pas été repéré ni au registre ni à la liasse du notaire  Brochard, il ne semble donc pas avoir été passé de manière effective.
[22] ADCM, Notaire FLEURY, 3E1605, Procès verbal de visite Gilbert, 23 septembre 1745 - Notre référence : EH 4565.
[23] le treuil a une mauvaise maie, son fût est sans aiguille avec seulement une fourche, trois gorons et une truie, l'égouttoir est lui fort abîmé
[24] ADCM, Notaire SOLLEAU, 3E 1955, Ferme Pierre JEAN curateur des mineurs RACLAUD à Jean Baptiste HUAS, 11 mars 1750 - Notre référence : EH 2521
[25] (1694 - Angoulins, 1754) Menuisier (maitre), Marchand, Aubergiste Angoulins et à Tasdon (Aytré)
[26] fermier de la ménagerie de la Rochelle
[27] (La Jarne, 1716 - Angoulins,  1778)
[28] Acte en collection particulière,  Procès verbal de visite Huas, 25 janvier 1751 - Notre référence : EH 328
[29] Acte en collection particulière, Bail Jean à Bouyer, 15 décembre 1754 - Notre référence : EH 757
[30] Acte en collection particulière,  IAD Huas, 24 août 1754 - Notre référence : EH 754
[31] Peu d'indices nous sont ainsi connus sur l'activité tant d'hébergement que de restauration de la maison. En 1753, encore le notaire Philippe Solleau procède à Angoulins à un inventaire de succession. La prisée prenant plusieurs jours le notaire précise à deux reprises qu'il va déjeuner à l'auberge : "de la maison du sieur Huas aubergiste du dit lieu où nous avons pris notre repas" Notre référence EH 4388 pages 8 et 19.
[32]  (1755 à 1760)
[33] (Saint-Martin-de-la-Coudre, 1728 - Angoulins, 1783)
[34] L'information n'a pu être recoupée avant recherche de l'acte lui-même dans le contrôle des actes, bureau de La Jarrie, le registre de 1759 étant manquant.
[35] ADCM, Notaire RULLIER, 3E 59/1048, Arrentement François Raclaud- Pascal Tardy et sa femme, 24 décembre 1759 - Notre référence : EH 5214
[36] procuration passée devant le notaire Tardy le 27/3/1758
[37] ADCM, Notaire FARJENEL, 3E 929, Ratification par François Raclaud d'un acte d'arrentement - Notre référence : EH 5212
[38] Quelques informations nous sont connues sur le devenir de ces derniers fermiers : Madeleine Bouyer décède le 6 juillet 1778, alors veuf Pascal Tardy se remarie avec Marie Anne Claire Paris le 25 janvier 1779. Il déclare 12 articles de domaines à la châtellenie d'Angoulins le 29 décembre 1781 et après son décès qui survient le 3 juin 1783 est dressé un inventaire de ses biens le 1 septembre 1783.
[39] ADCM, Notaire CRASSOUS, 3E 771, Transport de rente Biron-Cottiby, 7 mai 1772 - Notre référence : EH 4284 : Jean Biron, marchand farinier et Jeanne Baron sa femme demeurant au moulin du Pont de la Pierre "vendent, cèdent et transportent" au sieur Simon Louis Cottiby, chevalier de l'ordre royal militaire de Saint-Louis, capitaine de grenadiers au Régiment de Noailles, pensionnaire du Roi et demeurant à La Rochelle, 44 L de rente foncière amortissable pour la somme de 880 L et assignée sur une maison, domaines et héritages. Le transport se fait moyennant la somme de 880 L pour le sort principal de la rente et 13 L 10 S pour ce qui a couru sur l'arrérage commencé jusqu'au jour de l'acte (ce dernier prenant effet quelque mois auparavant).
[40] que nous n'avons pu retrouver, mais la référence a été repérée in  ADCM, Notaire CRASSOUS, 3E 771, Transport de rente Biron-Cottiby, 7 mai 1772 - Notre référence : EH 4284 et in ADCM, Notaire GENDRON, 3E 1996, Titre nouvel Biron, 15 mars 1775 - Notre référence : EH 5215
[41] sans postérité, son unique héritier était un laboureur de Saint-Rogatien : Jean Dosseau
[42] ADCM, Notaire GENDRON, 3E 1996, Titre nouvel Biron, 15 mars 1775 - Notre référence : EH 5215
[43] il est probable que les trois chambres hautes manquantes et présentes dans les procès verbaux de 1745 et 1751 et dans l'inventaire après décès de 1754 soient séparées de l'auberge entre 1760 et 1775.
[44] confrontant la dite maison d'un côté vers l'orient et d'un bout vers le septentrion au canton public du dit lieu d'Angoulins et à la rue qui conduit à Rochefort, du midi au four banal du château d'Angoulins, de l'occident au queureux des héritiers Oualle
[45] cet arrentement ne pourra être exploité, le registre 1674 du notaire Rivière manque
[46] ADCM, Notaire ROY, 3E 55, Partage Biron, 2 novembre 1775 - Notre référence : EH 4970
[47] voir aussi un document en relation : Acte en collection particulière, Partage Veron, 31 décembre 1806 - Notre référence : EH 510

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire