La vie rurale en Aunis il y a cinquante ans (par Pierre Lhoumeau, 1935)

Revenons, si vous le voulez bien, cinquante ans en arrière. Nous sommes en 1885, c’est à dire au moment de ma petite enfance, à une époque qui me rappelle non seulement un temps que j’ai vécu, des choses dont je me souviens parfaitement, mais aussi des gens que j’ai bien connus et aimés et qui, aujourd’hui, sont disparus depuis de nombreuses années déjà.
Nous sommes en pleine période de crise, comme aujourd’hui du reste, avec cette différence que la crise actuelle a pour cause principale la surproduction, alors que c’était uniquement la faiblesse de la production qui avait provoqué celle qui sévissait pendant la période dont nous allons parler.
Le phylloxéra venait de détruire le vignoble charentais et depuis trois ou quatre ans déjà le paysan désemparé, envisageant l’avenir avec inquiétude, cherchait, sans le trouver, le moyen de sortir de l’impasse où l’avait acculé ce désastre qu’il n’avait pas prévu.
La production de vin était, en effet, à cette époque, la récolte principale de la Charente-Inférieure, et en Aunis comme en Saintonge la vigne était cultivée dans tous les terrains qui se prêtaient à cette culture.
La culture du blé était nulle chez la grande majorité des propriétaires petits et moyens qui ne faisant que de la vigne, ne récoltaient même pas de fourrages pour les besoins de quelques animaux qu’ils occupaient.
On comprend l'embarras et la détresse des malheureux habitants de ce pays lorsqu'ils eurent été privés de leur unique ressource. Beaucoup d'entre eux, ne pouvant croire à leur malheur, essayèrent de replanter.
Leurs essais furent voués à un insuccès complet, puisque les vignes, aussitôt venues, mouraient et il leur a fallu y renoncer. 
Aussi, depuis 1882 jusqu'à 1894, il est difficile de se faire une idée de la misère qui existait à  cette époque. La mise en valeur des terrains anciennement plantés en vigne, les achats de semences, d'animaux, de matériel, nécessitaient des capitaux qui n'existaient nulle part.  Aussi, les terrains incultes ne manquaient pas ; la propriété perdit les 4/5 de sa valeur, quand, toutefois, ces terrains mis en vente trouvaient acquéreur. Nombreux étaient les petits cultivateurs, propriétaires de plusieurs hectares de terre, qui, ne pouvant plus vivre sur leur sol, l'abandonnaient de qu'ils pouvaient trouver le moyen de s'occuper ailleurs. La main-d'œuvre était tombée à un prix de misère ; un bon domestique se louait 250 francs pour un an. Il est vrai qu'il était nourri à la ferme ; une servante de ferme gagnait 150 francs pour son année. Soixante ans plus tard, un domestique de ferme se louait 100.000 francs, nourriture comprise, une servante 80.000 francs. 
Le fermier qui occupait ces ouvriers n'était pas plus riche et ne payait généralement pas ses fermages ; il s'ensuivait que les propriétaires se trouvaient, de ce fait, dans une situation guère plus brillante. Tout le monde était, comme on dit, logé à la même enseigne, et cet état des choses dura jusqu'à ce que le père Biraud, dont le buste a été édifié il y a deux ans sur la place de Surgères, eût l'idée magnifique de former à Chaillé, près de Surgères, la première laiterie coopérative, essai timide qui devait avoir une si heureuse conséquence dans le monde agricole de notre région. Il faut cependant aller jusqu'en 1895 pour constater un réel progrès et une petite amélioration dans le sort paysan.
L'élevage était quelque peu pratiqué dans le canton de Marans, au sud de La Rochelle, dans les communes d'Angoulins, La Jarne, Aytré et le marais de Voutron et de Rochefort ; mais il était loin d'avoir l'importance qu'il a aujourd'hui. Dans les fermes, on faisait également du blé. Cette culture ne ressemblait point non plus à la culture du blé comme elle est pratiquée aujourd'hui.
Les conseils manquaient et le paysan était livré à lui même sans directives ; les engrais, les machines agricoles n'étaient point connus. On ignorait les prairies artificielles. La jachère, qui n'était point toujours cultivée comme il aurait fallu, était pratiquée sur une grande échelle. La raison de ce défaut de culture s'expliquait par la recherche d'économie de main d'œuvre. C'est qu'il fallait être deux pour faire marcher une charrue : le grand valet, qui tenait la charrue et le bistrot, qui conduisait l'attelage. Je n'étais point vieux que je conduisait déjà six bœufs, ce qui ne m'empêchait pas, lorsque l'attelage n'était pas dirigé d'une façon parfaite, le grand valet de me lancer des mottes de terre sur la tête, ce qui n'allait pas sans pleurs de ma part.
La gêne générale avait contribuer à unir par des liens de sympathie mutuelle tous ceux qui en souffraient et, dans les fermes, cette sympathie se manifestait en de nombreuses occasions. Il en est résulté des habitudes ou coutumes qu'il est impropre de nommer anciennes puisque quarante ans à peine se sont écoulés depuis leur disparition ; mais le travail et l'existence de cette époque sont tellement différents de l'existence et du travail d'aujourd'hui que, ce temps nous semblant tellement éloigné, nous pouvons, sans craindre d'être taxés d'exagération, appeler vieilles les coutumes qui étaient pratiquées à cette époque.
L'apparition des machines en a causé la disparition en bouleversant complètement les modes de travail. Les faucheurs et les moissonneurs ont été remplacés par des machines ; de même les battages au rouleau, au fléau, ainsi qu’au petit manège actionné par bras d’hommes, dont la venue constituait déjà un réel progrès ont dû disparaître et ont été remplacés par les batteuses à vapeur , les vanneuses ensuite. 
Il s’ensuivit que les occasions de se réunir à la ferme ne se présentant plus, toutes ces vieilles coutumes dont nous allons parler disparurent, et cela se passait aux environs de 1895 c’est à dire il y a quarante ans.
Comme aujourd’hui, la fauchaison (les fauches) et les moissons (les métives) étaient les travaux importants d’une ferme, les vendanges étant complètement disparues. Les faucheurs et les moissonneurs (les métiviers comme on les nommait alors) étaient des petits entrepreneurs qui s’engageaient à faire ces divers travaux à leur compte, moyennant un prix convenu en argent généralement pour les faucheurs, en nature pour les métiviers. Les ententes se faisaient chaque année pour la Chandeleur c'est à dire pour le deux février. 
Ce jour-là, c'était jour de fête à la ferme. Dès le matin, tout ce personnel, arrivé tôt, passait la matinée à travailler. On rentrait du fourrage, on nettoyait les écuries et on allait déjeuner.  
Je revois encore chez moi l'immense table de la cuisine au grand complet. La gaieté n'était pas exclue de ces réunions. A l'issue du déjeuner on s'entendait sur les conditions du travail, ce qui n'était pas long, ces conditions étant les mêmes dans tout le voisinage, et on faisait des crêpes pendant toute la soirée. Ma mère, aidée de la servante, n'avait pas de temps à perdre. Les hommes jouaient aux cartes, au va-tout, jeu d'argent de l'époque. On oublier généralement de dîner et la partie se prolongeait toute la nuit.
Il me vient à la mémoire une petite anecdote qui montre bien quel esprit animait ces réunions de famille, dirai-je. Je m'excuse de la raconter parce qu'elle est un peu osée. Je ris encore en y pensant : La servante faisait sauter des crêpes . c'était une jeune fille, éducatrice de premier ordre, dont la pudeur n'était pas facile à blesser et qui n'avait pas la langue gelée.
Un métivier nommé Jean qui aimait bien à rire, plaisantait la servante depuis un moment déjà. A force de taquinerie, auxquelles il était répondu comme il fallait, impatientée, elle lui dit tout à coup : "Tenez, Jean, si vous n'êtes pas fainéant, baissez votre pantalon que je vous en colle une sur les fesses." Jean sans hésiter, approche de la cheminée, sans mot dire, baisse son pantalon et présente à la bonne la partie charnue de son individu. Le geste ne s'est pas fait attendre, la poêle fait un demi tour et la crêpe brûlante couvrait bien à plat une partie de ce que Jean aurait bien dû tenir caché.
Je vous laisse penser l'effet qu'a pu produire cette crêpe brûlante sur l'endroit où elle est allée s'appuyer. Jean ne rigolait pas. Cette anecdote qui me vient à l'idée n'en est qu'une entre cent. Cela prouve tout simplement que malgré la misère on ne s'ennuyait pas toujours à la ferme. 
Les prix pratiqués à cette époque feraient sourire les jeunes, qui ne s'imagineraient qu'avec peine que des familles pouvaient vivre avec des gains aussi minimes. Ainsi un faucheur travaillait toute une journée, fauchait le tiers d'un hectare (un journal, pour employer la mesure de l'époque) et gagnait trois francs. S'il fauchait des glens, c'est à dire la paille que laissaient les moissonneurs, il ne gagnait que deux francs soixante-dix.
Le journal, mesure qui est du reste encore employée aujourd'hui, représentait le travail d'une journée d'un faucheur ordinaire, ce que pouvait couper un moissonneur dans sa journée, la journée de labour d'un bon domestique. On ne parlait jamais d'hectare.
De même que l'unité de mesure était le boisseau (soixante litres) et que c'était toujours la livre quand on pesait, le journal, dis-je, représentait le travail d'un faucheur pendant une journée et Dieu sait quel travail ! Un travail de Romain, impossible certainement à faire exécuter de nos jours. Et pourtant, ces hommes prenaient leur sort gaiement.
Ils avaient vécu au temps des vignes et avaient conservé des habitudes contractées à cette époque. Ils aimaient le vin, et celui-ci entrait toujours pour une large part dans toutes les conditions, et, bien que depuis longtemps on en récoltait plus, il fallait quand même que l'employeur s'en procure. Une condition qui ne s'oubliait jamais était l'octroi aux faucheurs qui allaient embaucher au marais, d'un petit fût de vin. Et voilà comment les choses se passaient à ce moment.
Quand le patron donnait l'ordre d'aller commencer les fauches dans les marais, lequel se trouvait souvent éloigné de la ferme de quelques kilomètres, il fallait transporter tout le matériel sur le lieu du travail. Ce matériel se composait de tout ce qu'il fallait pour l'édification d'une cabane destinée à abriter les faucheurs pendant la quinzaine de jours que devait durer leur absence, ainsi que les provisions y compris le pinard (qui ne s'appelait pas pinard à l'époque).
En arrivant, le premier travail consistait à faucher l'herbe nécessaire pour l'installation de la cabane. Ils s'inquiétaient ensuite de leurs voisins. C'étaient des visites immédiatement rendues et, comme le vin ne manquait pas au début, la journée se passait à boire, à rire et à s'amuser. La raison s'absentait quelque fois et le soir, par un temps clair, les rires et les chants s'entendaient de bien loin. On travaillait ensuite et quel travail ! Je me demande aujourd'hui, alors que tous ces travaux se font mécaniquement , comment il pouvait se trouver à cette époque des hommes pour fournir une somme de travail semblable.

Les fauches

Une journée de fauches dans les marais des Fontaines, commune d'Yves, en 1887.
Dans cette immense étendue de prairies qui s'étend sans interruption, pour ainsi dire, depuis Aytré jusqu'à Marennes, se trouve située, à gauche de la route nationale, avant le Marouillet, la ferme des Fontaines, ancienne seigneurie, ferme aujourd'hui de laquelle dépendaient autrefois toutes les prairies situées à cet endroit, anciennes salines appartenant à cette époque au comte de Châtelaillon et qui ont bien souvent été cause de querelles avec ses voisins qui lui disputaient âprement.
Les traces de ces anciennes salines se voient encore bien apparentes, les configurations demeurent encore bien définies et pourtant leur existence remonte à plus de huit siècles.
Maintenant transformées en excellentes prairies, elles fournissaient, à l'époque dont nous parlons, le foin dont les fermiers des environs avaient besoin.
Sans un arbre, la chaleur, au mois de juin, y est accablante dès neuf heures du matin. Heureusement, la proximité de la mer nous fait profiter vers dix heures de la brise rafraîchissante, qui atténue la chaleur, laquelle est, les jours où cette brise nous est refusée, vraiment insupportable.
C'est dans ces prairies qu'est occupée, dans le courant de juin, toute une troupe de travailleurs : les faucheurs  et l'équipe des faneurs.
Les faucheurs ont établi leur pénates dans le Marais et y restent jusqu'à ce que le travail soit terminé. La cabane est montée et installée. Imaginez-vous un chevalet sur lequel la laveuse met son linge lorsqu'elle le sort de l'eau, beaucoup plus grand naturellement. Le foin recouvrant cet édifice est rangé de telle sorte que cette installation rudimentaire procure à ses occupants l'abri dont ils ont besoin en cas de pluie et pendant la nuit. Il est vrai que j'ai connu plusieurs fois la cabane enlevée par un coup de vent pendant un orage. La chaleur est étouffante dans cet étroit réduit et pourtant c'est là que dorment la nuit trois hommes qui ont fourni toute une longue journée, de quinze heures au moins, d'un travail surprenant. Ils sont fatigués et dorment quand même, oh ! pas longtemps : cinq heures au maximum. C'est la durée de leurs nuits. En effet, deux heures et demi, et voilà Nicolas Juliau dit Brûle-Sol, le meilleur des faucheurs des environs, qui prétendait aiguiser son dail avec de l'huile d'aspic, qui sort de la cabane, s'étire, baille et sonne le réveil.
Ses compagnons ne tardent pas à le rejoindre. Les étoiles pâlissent, une petite teinte rose indique dans l'Est, l'endroit où, dans une heure, va se lever le soleil. Un brouillard intense qui s'élève des bas-fonds annonce à coup sûr une journée très chaude. Les faucheurs n'auront pas toutes leurs aises aujourd'hui !
La toilette est vite faite : quand on ne s'est pas déshabillé il ne faut pas longtemps pour s'habiller. 
- Beau temps non de Dieu ! dit Coupe-en-Deux, lequel porte un nom prédestiné, puisqu'il devait mourir coupé en deux par un tram de La Rochelle. (Destinée !)
- Il va y avoir de l'orage aujourd'hui et gare à la cabane, dit le troisième, compère Laplaine, le joyeux de l'équipe, dont la goule ne fermait pas du matin au soir. En attendant, cassons la croûte !" 
Il fait encore nuit, à peine une petite clarté annonce l'aube prochaine, le casse-croûte est vite expédié, pas de café à préparer et après quelques appels à l'adresse des cabanes voisines à l'entour desquelles on voit, dans le jour naissant, marcher les occupants, on empoigne les dails préparés la veille et on se rend à la tâche.
C'est le meilleur moment de la journée. Il fait bon le matin, aussi on ne perd pas de temps, Brûle-sol prend la tête, les autres suivent à deux mètres de distance et la journée commence.
Une rosée très forte fait que l'herbe lourde ne résiste pas à la faux. Mais voilà cinq heures ! Un claquement de fouet annonce l'arrivée de l'équipe des faneurs. On dételle et le cheval est laissé pendant toute la journée. Ce n'est pas le plus malheureux de la troupe. Les provisions sont déballées et mises au frais, la boisson surtout. On apporte également des vivres pour les faucheurs. Entretenir frais, par ces temps de chaleur tropicale est tout un problème. C'est un supplice quand le soif vous tourmente d'être obligé de boire chaud. on se dirige alors vers les fossés et on cherche parmi les roseaux de l'endroit, quelque part à l'abri des rayons solaires où l'eau a conservé la fraîcheur. Cette eau a un goût de boue détestable qui n'encourage pas beaucoup à la boire. mais quand on a grand soif !
Pour les faneurs aussi le travail commence. En attendant que la rosée soit évaporée, on fait des meulons, grands tas de foin, dont l'un représente la charge d'un cheval, une charretée  comme on dit. 
Ce travail dure jusqu'au déjeuner, qui a lieu vers huit heures. A cette heures tout le monde se réunit. Comme c'est le meilleur du temps pour travailler, ce repas, le meilleur de la journée, la chaleur n'incommodant pas encore, est vite expédié et immédiatement on commence le ramassage du foin sec, l'aiguaye (la rosée) étant tombée.
Point de râteau mécanique, c'est à la fourche que le foin se retourne d'abord et se ramasse ensuite. Derrière les faneurs, des femmes râtellent soit avec des râteaux à main, soit avec une râtelettes. Cette façon de travailler nécessite beaucoup de monde pour faire peu de travail. Heureusement encore quand le temps reste beau et qu'un orage, suivi d'une pluie diluvienne, ne vienne pas défaire tout le travail de la journée et même celui de la veille.
C'est pourquoi on se hâte de mettre le foin ramassé à meulons, parce que le foin à meulons est à peu près sauvé.
Pendant ce temps, les faucheurs ne perdent pas de temps. Ils sont à leur pièce : plus ils en feront, plus ils gagneront et il faut qu'ils donnent du travail à la bande des faneurs qui les talonne.
La chaleur augmente et devient accablante ; de temps en temps, un faucheur s'arrête, essuie avec sa manche la sueur qui coule sur son front, prend sa pierre à aiguiser dans son couët, flic, flac, flic, flac affûte son dail et repart.
Il est dix heures, le travail est pénible. Mais, tout à coup, quel soupir de soulagement : la brise marine et fraîche vient caresser leurs fronts en sueur !
Le travail va être plus facile et ne s'en poursuit pas moins jusqu'à une heure de l'après midi.
Une heure ! c'est le deuxième déjeuner ; le soleil est à son point culminant, pas un arbre sous lequel on peut se mettre à l'ombre. On cherche, autour des meulons, un petit endroit où il serait possible de se garer des rayons du soleil. C'est le moment de la journée le plus dur, la chaleur enlève l'appétit, on boirait la mer et ses poissons. Le vin apporté depuis le matin a chauffé dans les récipients.
Quand même, ce repas, qui réunit toute l'équipe, ne manque pas de gaieté et on rit de toutes les blagues racontées par Laplaine et Coupe-en-Deux, lequel m'a bien souvent amusé et intéressé avec ses histoires de la guerre de 1870, qu'il avait faite comme cuirassier. La charge de Reischoffen, je l'ai entendue raconter cent fois !
Après le déjeuner, c'est l'heure du repos.
Chacun cherche un petit coin pour s'étendre et dormir à l'ombre pendant une heure.
La jeunesse s'écarte un peu du gros et, quand il semble que tout le monde est endormi, une jeune tête se lève, un petit signe et nous voilà debout, nous éloignant à pas de loup pour ne pas éveiller l'attention. C'est que je ne manquais pas les jours, -jeudi et dimanche - où je pouvais faire partie de l'équipe. C'était une bonne journée en perspective.
Trois cent mètres à franchir et voilà la voie ferrée traversée. Nous venions là pour admirer le superbe paysage qui se présentait à nos yeux ! Nous nous rendions là parce que c'était le bord de la mer, tout simplement, et que ce seul mot suffit pour attirer et charmer.
Et pourtant vous connaissez tous ce joli coin, l'anse du Marouillet !
A droite, le rocher d'Yves, qui nous cache Fouras, mais nous laisse apercevoir la pointe extrême de la pointe de la Fumée, le fort Enet. Derrière, quelques bateaux se dirigeant vers l'Est nous laissent deviner l'embouchure de la Charente. L'île d'Aix si proche, que par ce temps clair, on pouvait en distinguer tous les détails et, au fond, à peine visible, l'île d'Oléron.
A droite, c'est la côte basse et sablonneuse avec, plus loin, le petit village des Boucholeurs, composé, à l'époque, de quelques petites maisonnettes basses, vieilles et sales, abritant quelques misérables familles. Plus loin, et les surplombant d'un étage, les quelques maisons du Vieux-Châtelaillon, vestiges du Châtelaillon disparu, avec les ruines du couvent des Camaldules, sur les murs desquelles on a bâti ces dernières années une maison et dont la cloche réclamée par la commune de Châtelaillon, se trouve actuellement à l'église d'Angoulins, qui lui en dispute la propriété.
Plus loin encore, à peine visibles, quelques pins rabougris, végétant tristement sur des dunes de sable aride.
Ces sapins, trois ou quatre maisons, nouvellement construites, marquent l'emplacement de la coquette ville d'eau, le Châtelaillon actuel. C'était là que venaient passer la journée du dimanche beaucoup de gens des environs.
Ils arrivaient en charrette, en voiture, avec leurs provisions pour la journée.
Je vois encore le petit pâtissier, dont les parents s'étaient installés à cet endroit et qui venait offrir ses gâteaux.
On disait alors "Passer une journée aux sapins".
En prolongement et fermant le cadre, les falaises d'Angoulins, la côte du Chay et, tout au fond, à l'horizon, l'île de Ré. C'est la rade des Trousses, le pertuis d'Antioche dans toute son étendue, qui se montre à cet endroit. 
C'est un coin magnifique, reposant, que nous n'avions pas à l'époque le temps d'admirer, parce que, à jouer sur cette plage caillouteuse, conservant encore la trace des trous fait sur la côte par les chasseurs des oiseaux de passage, dont la visite était juste terminée, le temps passe vite à faire des cabrioles et des courses, en compagnie des mouettes non apeurées qui venaient presque nous caresser de leurs longues ailes blanches et que, non loin de nous, sur l'immense platin du Marouillet, des pêcheurs traînaient une senne et essayaient de capturer les mulets qui se laissaient surprendre à la lame de l'eau. Une heure, ce n'est pas long et c'est en courant que nous prenons le chemin du retour. Il nous fallait arriver avant que l'on ait sonné le réveil, ce qui n'arrivait pas toujours. 
En arrivant, au travail jusqu'à sept heures environ, heure à laquelle les faucheurs devaient songer à l'embauche du lendemain, c'est à dire à préparer leurs outils, de manière à en avoir un de prêt pour commencer le travail.
Ce travail terminé, ils dînaient pendant qu'il faisait clair et jusqu'à la nuit.
Depuis, un moment déjà, l'équipe des faneurs avaient pris la direction de la maison. il leur fallait une heure pour faire la route (pas d'automobile alors).
Les faucheurs entraient alors dans leur cabane et demandaient à un sommeil réparateur le repos nécessaire pour pouvoir recommencer le travail le lendemain.
Je revois encore dans ces étendues de marais, les troupes de faneurs et de faucheurs. Cela ne manquait pas d'un certain pittoresque. Le Marais était bien vivant à cette époque. Les cris, les rires n'étaient points bannis ! 
Quel changement aujourd'hui, où tout ce pittoresque est remplacé par le bruit monotone de la machine !
Et ces repas en plein air, pris en commun !
Il n'est pas difficile de se faire une idée de ce qu'ils pouvaient être : plaisanteries, histoires d'autrefois, gauloiseries, rien n'y manquait, et le travail se faisait, lequel travail, expédié plus rapidement aujourd'hui, a enlevé beaucoup de la vie gaie et active de cette époque.
De ces vieux faucheurs, il en reste encore un auprès de chez moi, il a plus de quatre-vingt ans. Il ne me rencontre jamais sans me parler de ce vieux temps.
- Ah ! me disait-il dans son parler du pays et de l'époque, si o fallait retourner à autrefois et faucher au dail comme dans le temps, on en trouverait pas un pour faire ce que je faisions."
Et il dit vrai !

La moisson

Les moissonneurs coupaient le blé à la faucille à cinquante centimètres environ au-dessus du sol. 
La paille qu’ils laissaient s’appelait gleu. Il fallait la faucher à la faulx. C’était l’affaire des faucheurs. A ce travail également il fallait du courage et de l’endurance. Toujours moitié courbé, le moissonneur (le métivier) prenait dans sa main gauche une poignée de blé que lui présentait la faucille dirigée par sa main droite, d’un coup sec il la coupait et la déposait sur son pied gauche, avec lequel il transportait le blé nécessaire à la confection d’une demi-gerbe. Lorsque la quantité était suffisante il faisait un lien avec deux poignées de blé, qu’il ajoutait l’une à l’autre en mélangeant les épis et en tordant la paille. Sur ce lien, il déposait le blé qu’il avait coupé. Le second moissonneur, apportant une quantité égale, terminait la gerbe et la liait.
La ligature se faisait avec un morceau de bois pointu et lisse que l’on appelait beuille. 
C’était une chose délicate que celle de lier une gerbe. Il fallait qu’elle soit assez serrée pour ne pas se détacher, et quand il faisait chaud la paille cassait, et lier était tout un problème.
A l’époque dont nous nous occupons, la battage au fléau et au rouleau était à peu près disparu dans l’Aunis. Il était remplacé par une petite batteuse, mue par quatre hommes. Bien justement, on appelait cette machine “crève-sot”. Ce mode de battage était extrêmement fatiguant et les hommes qui travaillaient ensemble n’étaient jamais bien longtemps avant d’être relevés.
On employa un peu plus tard des manèges mus par des chevaux et qui pouvaient battre 40 quintaux de blé par jour. C’était un grand progrès.
Le jour qui précédait le commencement du battage, les métiviers préparaient l’aire. Ils délayaient dans un grand récipient de la bouse de vache et enduisaient le sol nettoyé d’une couche de cette préparation. Quand l’aire était sèche, on pouvait battre le blé; il n’y avait aucun danger pour que le grain n’entre dans la terre et on pouvait balayer sans ramasser de poussières. Par exemple, ce n’était pas un travail agréable à faire. Les hommes étaient pieds nus et recevaient le produit sur les jambes, ils piétinaient dedans et ce n’était pas un parfum bien agréable.
Les métiviers fournissaient le monde nécessaire au battage. C’était généralement leurs femmes qui secouaient la paille au sortir de la batteuse et le propriétaire la rangeait.
Un moulin à vanner marchait en même temps.
Deux fois par jour il fallait porter le grain au grenier. 
C’était alors que se faisait le partage, c’est-à-dire que le métivier recevait la part qui lui revenait. 
Pour couper le blé et le battre, les métiviers avaient pour leur part, le 1/9° de la récolte. Il s’ensuivait que les hommes à couper le blé, l’avoine et l’orge depuis le commencement de juillet jusqu’au 10 août environ, et ensuite pendant une quinzaine de jours, eux et leurs femmes, pour les battages, recevaient en paiement le 1/9° de la récolte c’est à dire environ 25 quintaux de blé, 18 quintaux d’avoine, et une dizaine de quintaux d’orge.
En argent, cette quantité de grains peut-être estimée à 850 francs environ qu'ils partageaient en quatre (blé à 18 fr le quintal, avoine 14 et orge 15 fr). 
Cette somme constituait le plus clair de leurs revenus pendant l’année. Nous verrons plus loin ce que ces gens faisaient le reste de l'année.
La coutume voulait que, lors du mesurage du premier boisseau de blé, qui devait être pour le patron, un métivier déposait sur la mesure un bouquet, qui était offert à la patronne et il s’ensuivait que, lorsque les battages étaient  terminés, tout le monde était invité à manger à la ferme.
On mangeait ce jour l’oie des métives. C’était encore une charmante réunion, une journée et une nuit qui se passaient en réjouissances. On jouait au va-tout, on mangeait des crêpes.
Manger l’oie était une vieille coutume qui se renouvelait également à la fin des semailles. On disait “on mange l’oie tel jour” cela voulait dire “nous terminons les semailles tel jour”.
Lorsque les champs était débarrassés de leurs récoltes, il était procédé au glanage. Rien ne se perdait à cette époque de petite production.
Le glanage était fait par les femmes. Mais alors que de nos jours les glaneurs pratiquent librement et pour leur seul profit le ramassage des épis qu'ont laissé les moissonneurs il y a cinquante ans il n'en était pas de même.
Pour faire sillon (c’est ainsi que l’on s’exprimait pour désigner le glanage) les glaneuses devaient filer une certaine quantité de lin pour le fermier, s’occuper du rouissage et du bravage. 
A ces conditions, elles étaient autorisées à glaner et elles avaient leur part : la moitié de ce qu’elles ramassaient. Vous pouvez être assurés que leur grain journalier n'était pas aussi élevé que celui d'une femme de ménage d'aujourd'hui.

La culture, le lin

Également à cette époque, il se cultivait du lin, en assez petite quantité, du reste.
Que c'était joli, un champs de lin en fleurs. Cette multitude de petites fleurs bleues représentait bien le plus joli parterre que l'on puisse s'imaginer.
Lorsque la récolte était faite, les femmes qui avaient entrepris le glanage le transportait dans les prairies et l'installait dans l'eau dormante pour le rouissage. Quand celui-ci était jugé suffisant, on le sortait de l’eau et on le laisser sécher complètement.
On procédait ensuite au brayage et toute la journée c’était à la maison le bruit infernal que produisait les femmes brisant avec des chevalets spéciaux l’écorce de la plante.
C’était ensuite le tour du peigneur.
Le père Caquineau arrivait avec tout son matériel et s’installait à la maison et je revois les jolies poupées de filasse qu’il faisait avec un art inégalable.
Il fallait ensuite filer. Ce travail ce faisait l’hiver, aux veillées.
Je me rappelle encore ces bonnes veillées, où chacun y allait de sa chanson ou de son histoire. Je revois encore ma pauvre vieille Marianne, autrefois servante à la maison et qui m’a élevé pour ainsi dire, chanter pendant des heures entières tournant son rouet.
Les domestiques hommes égrenaient le maïs, assis sur des caisses, sur lesquelles étaient installé, soit des barres en fer grossièrement coupantes, soit de vieux couteaux à foin. On défaisait les grains de maïs en frottant les épis (les fusées, comme on disait) sur ces différents objets. Mais, comme ce travail ne se faisait pas sans bruit, c’était quelquefois des protestations véhémentes de la part de ceux qui écoutaient les chansons.
Et les soirées passaient gaiement. C’est qu’à cette époque les distractions n’étaient pas nombreuses à la campagnes !

Le tissage

Le tisserand intervenait ensuite.
A la maison on ne faisait pas de lin pour la vente, mais bien pour l’employer à la fabrication de la toile, de cette bonne et belle toile de ménage avec laquelle on confectionnait des draps inusables et le linge de corps. Les dames de cette époque à la campagne n’étaient pas aussi difficiles sous ce rapport que celles d’aujourd’hui. et ne portaient certainement pas de lingerie aussi fine. Ce qui revient à dire que je ne suis pas sûr que les dames d’aujourd’hui se résoudraient sans trop de difficultés à porter les chemises que portaient nos parents et nos grands-parents. Je ne parle pas des pantalons de dames, parce que c’était une chose à peu près inconnue à l’époque, à la campagne.
Il s’ensuivait que les armoires des fermières de ce temps étaient bondées de linge. Il n’était pas rare de rencontrer un ménage en possession de plus de 100 paires de draps et d’une centaine de chemises à chacun des époux.

La lessive

L’entretien de cette grande quantité de linge nécessitait un travail que l’on ne peut passer sous silence. Je veux parler de la grande lessive : la bugée, qui se faisait une fois l’an, quelque fois deux.
L’Aunis, surtout les alentours de La Rochelle, ne possède pour ainsi dire ni rivières, ni ruisseaux. Seuls les canaux de dessèchement pouvaient, à une certaine époque, fournir l’eau courante nécessaire. C’est ce qui explique pourquoi c’était toujours au mois de mai que se faisait la lessive, parce qu’à ce moment il y avait encore de l’eau à évacuer des prairies et on pouvait avoir alors à sa disposition de l’eau courante.
Tout était en l’air à la ferme à cette occasion. Le personnel était insuffisant et il fallait embaucher plusieurs laveuses de renfort.
Tout le linge qui avait servi pendant l’année et qui avait été déjà lavé et mis en réserve dans un local spécial était sorti et relavé.
Ce linge était entassé ensuite bien à plat, bien étendu, dans de grandes cuves en pierre (les ponnes) installées dans la buanderie, de chaque côté d’une chaudière, placée elle-même au-dessus d’un fourneau.
Lorsque l’eau bouillait, une femme était occupée constamment à prendre dans la chaudière de l’eau bouillante du lessis et le versait sur le linge, qu’elle arrosait.
On appelait assir (asseoir) la lessive.
Lorsque le linge avait assez bouilli, il était retiré de la ponne et on le repassait dans l’eau.
Quand il était égoutté il était chargé sur une charrette et dirigé dans les prairies, où les femmes allaient procéder au rinçage.
Sur le bord du canal on préparait autant de places qu’il existait de laveuses, lesquelles s’installaient dans une petite case en bois appelée, peut-être improprement carrosse, et c’était, agenouillées dans ces sortes de boites, au fond desquelles pour que ce soit moins dur aux genoux on avait mis une couche de paille, que les laveuses continuaient à grands coups de battoirs à nettoyer le linge.
Bien rincé dans l’eau courante, claire, le linge parfaitement lavé, et on peut dire qu’il l’était, bien égoutté ensuite, était étendu sur le terrain.
Le soleil avait tôt fait de le sécher, et le soir la charrette ramenait tout le matériel à la maison.
Il fallait ensuite le repasser et le plier, après quoi les vieilles armoires recevaient leurs garnitures auxquelles on ajoutait pour les parfumer, une belle gerbe de lavande.
Ces grandes lessives ne se pratiquent plus, dans la région du moins, et quand on s'en souvient on est bien forcé de reconnaître que nos parents et nos grands-parents ne craignaient pas leur peine, et que le gros travail ne les épouvantait pas.
On trouve encore de ces toiles de façon, elles sont inusables, et je me souviens, quelques semaines après mon mariage, à une noce où nous avions été invités, ma femme et moi, dans un village pas très éloigné, on nous avait fait coucher dans des draps neufs faits avec du fil de lin filé à la main. Nous n'avons pu dormir, ni l'un ni l'autre, tant la toile était dure et nous rendait le séjour dans le lit intolérable.
J'ai rencontré dans une maison amie des tapis de pieds faits avec ce qui s'appelait à l'époque "le lirette". C'était de vieilles étoffes hors d'usage que l'on découpait en bandelettes de deux centimètres de largeur, que l'on ajoutait et avec lesquelles le tisserand fabriquait de bons et jolis tapis de pieds. C'était une occupation pour ma sœur et moi, et j'en ai bien fait de la lirette sur mon lit et pendant ce temps ma mère avait la paix.
Aujourd'hui, les vieux bas de laine usés sont généralement destinés au chiffonnier. A l'époque dont nous parlons, il n'en était pas de même.
Ces bas étaient soigneusement défaits à la main et la laine mise en pelotes. On appelait cette laine qui avait déjà servit la penille. Avec cette penille le tisserand confectionnait une étoffe très chaude et très solide de couleur gris foncé : le droguet.
On en faisait des pantalons pour les hommes et des jupons pour les femmes.
Si cette étoffe n'était pas très élégante, elle ne coûtait pas cher et était d'un usage presque illimité et c'était très important pour l'époque.

Le beurre, le pain, l'alimentation

Nous avons fait rapidement un exposé des travaux de la femme de l'extérieur. mais ne supposez pas que le travail de la maison se faisait plus facilement.
Pas de laiterie coopérative, pas même d'écrémeuse.
Le beurre se faisait à la ferme et ce n’était pas un mince travail. Jugez, pour peu qu’il y ait 150 ou 200 litres de lait par jour, quelle peine c’était pour les gens qui s’occupaient de cette partie ?
L’hiver la crème ne montait pas. Il fallait transporter tous ces pots de lait dans le four, encore tiède de la dernière fournée, où ils y passaient la nuit, les enlever ensuite. L’été le lait bouillait dans les pots et pas de crème ! Aux trop grandes chaleurs on descendait les pots à la cave. On faisait généralement le beurre trois fois par semaine. Jugez quelle quantité de récipients il fallait employer.
On enlevait la crème avec un écumoire.
La fabrication du beurre était tout un problème, l’hiver par les temps froids, de même quand il faisait trop chaud.
Tout le monde connaît les difficultés à faire du beurre par une température basse. Dans le moulin destiné à cet usage ou dans la baratte bien connue, et fréquemment employée à l’époque,  il fallait souvent verser de l’eau tiède.
Le beurre, ainsi fait, était blanc et très dur, il ne se tenait pas et le mettre à demie livre n’était pas commode.
L’été c’était le contraire. Le beurre ne se faisait pas, ne se ramassait pas (comme on disait) et pour le mettre à morceaux il fallait le descendre à la cave.
La vente du beurre se faisait le vendredi et le samedi, soit au marché, soit à une clientèle fidèle à raison  de soixante centimes la demie livre ou deux francs quarante le kilo ! Et il s’en vendait meilleur marché.

Le vendredi c’était, dans toutes les fermes généralement, le jour où on boulangeait. C’est qu’à cette époque encore, toutes les fermes faisaient leur pain.
Chez moi, le père Penin, le meunier du village, venait chercher le blé à la maison et rapportait la farine mélangée encore à son son. Le blutage se faisait à la maison avec un tamis. Ce n’était pas un appareil silencieux, et quand il marchait, les bois qui frappaient les uns sur les autres rendaient la maison inhabitable. Je ne veux pas assurer que les farines ainsi blutées étaient complètement débarrassées de tout leur son et que le taux de blutage n’était que de      cinquante pour cent. 
La veille, de bonne heure, la fermière préparait son levain et, le lendemain, on boulangeait. J’ai souvent été réquisitionné par ma mère pour faire la pâte, travail, du reste, qui ne me déplaisait pas, bien que l’été c’était de bonnes suées que j’y attrapais, mais le travail délicat de la mise au four ainsi que le chauffage de celui-ci était réservé par ma mère. Il est vrai qu’elle excellait dans l’art de faire du pain. C’était toujours du savoureux pain de ménage qu’elle nous présentait et qui se maintenait parfaitement frais et bien mangeable pendant toute une semaine même pendant les grandes chaleurs.
Vous connaissez tous la galette, la galette sous flamme qui n’est autre chose qu’une certaine quantité de pâte, bien étendue en une couche assez mince et cuite, ainsi que son nom l’indique, au moment où le four se chauffait. Il fallait l’ouvrir au sortir du four et la graisser intérieurement d’une bonne proportion de bon beurre; elle se mangeait très chaude. C’était excellent mais peu recommandé pour les estomacs délicats. Maintenant peut-être serait-on enclin à supposer les estomacs de cette époque moins délicats que ceux d’aujourd’hui puisque alors tout le monde en mangeait et s’en trouvait bien, et ma mère qui a 90 ans n’en souffre pas encore.
Il semblerait que, en égard à la fatigue qui, naturellement, résultait de travaux aussi pénibles, la nourriture dû être, substantiellement parlant, en rapport avec les efforts fournis. Il n’en était rien cependant.
Je ne dirais rien de ce qui constituait la nourriture solide qui était surtout, à l’époque, représentée par la viande de porc, ni des immenses marmites qui servaient à la cuisson des pot-au-feu hebdomadaires dans les fermes, et dans lesquels on entassait cinq ou six livres de viande salée de porc, deux ou trois choux énormes, des poireaux et des carottes en conséquence et qui fournissaient du bouillon et des provisions pour plusieurs jours. Il fallait bien çà dans les fermes où il y avait journellement  treize ou quatorze personnes à manger. Par exemple le vin était trop cher et on ne pouvait en boire. Il valait cinquante centimes le litre ! 
Alors que buvait-on ? Des piquettes faites avec tout ce que l’on pouvait trouver chez soi et qui pouvait être employé à cet usage. On employait à la saison les pommes, les prunelles des haies, qui entre parenthèses, fournissaient une piquette acide et très agréable à boire. 
Lorsque ces différents fruits étaient épuisés, c’était les raisins secs qui étaient employés ; mais c’était quand il n’y avait plus rien à utiliser parce que le raisin il fallait l’acheter. J’ai même connu des gens boire de l’eau dans laquelle, pour lui donner un peu de goût, ils avaient versé quelques gouttes de vinaigre, et c’était très dur pour des gens qui, toute leur vie, avaient eu du vin à discrétion !
Dans les fermes de Marans les domestiques avaient pour boisson de l’eau prise au fossé. C’était la coutume et personne n’y trouvait à redire. 
Les desserts étaient assez peu nombreux. Les gâteaux à peu près inconnus. Mais le fromage de brebis, frais l’été et sec l’hiver, paraissait sur toutes les tables, de ferme j’entends. Quant aux autres fromages, c’était du luxe. Dans toutes les fermes également, puisqu’on y faisait du beurre, on mangeait l’été du lait-beurre, le babigeot que l’on sortait de la baratte, quand le beurre était fait. C’était très rafraîchissant. On y trempait du pain et bien des personnes l’aimaient.

La pêche et les huîtres

Les petits cultivateurs, les ouvriers agricoles, occupés l’été à la terre, se seraient trouvés désœuvrés l’hiver, si la proximité de la mer ne leur avait pas procuré divers moyens de gagner leur vie.
Quelques-uns s’occupaient de la pêche à la macreuse, cet oiseau de mer qui fait son apparition sur nos côtes vers la fin d’octobre. “Un bon macreusien, disaient-ils, doit toujours manger une macreuse pour la Toussaint.”
C’est aujourd’hui une pêche agréable, si l’on peut dire. On part en voiture et on emporte tout son matériel (filet, pieux, marteau, pince...) jusque sur le lieu de pêche situé au Cornard, ce banc sur lequel s’élevait autrefois la ville de Châtelaillon, et qui est bien situé à 9 kilomètres, au moins, d’Angoulins. On va chercher sa pêche en voiture, ce qui fait que ce métier se fait ainsi sans grande fatigue. Mais autrefois, à l’époque dont nous parlons, les gens qui s’occupaient à cela ne possédaient ni cheval, ni voiture ; il fallait tout transporter à dos et rapporter la pêche de la même façon. C’était une charge de quarante à cinquante kilo que les pêcheurs de macreuse transportaient d’Angoulins au Cornard et retour et deux fois par jours, c’est à dire à chaque marée, pendant que les filets étaient à l’eau, et par n’importe quel temps.
Cela non plus n’était pas un petit travail, et la macreuse se vendait soixante à soixante-quinze centimes pièce.
Je ne dirais qu’un mot de la pêche aux huîtres destinées à l’élevage, qui consistait à l’époque, et qui constitue encore aujourd’hui, une occupation d’hiver et qui permettait à un bon nombre de petits cultivateurs d’augmenter leurs ressources.  Tout le monde connaît la pêche aux huîtres, mais ce que tout le monde ne sait pas, c’est que les huîtres se vendaient, il y a une cinquantaine d’années, soixante centimes le mille, détroquées bien entendu. C’est à dire qu’il fallait être un bon pêcheur pour pouvoir se faire une bonne journée. Il est vrai qu’à cette époque les bonnes journées étaient inconnues. Pensez donc ! Un gros propriétaire terrien, d’un village voisin, occupait dans ses bois, chaque hiver, une certaine quantité de gens qui recevaient un franc par jour ! et il fallait qu’une famille se nourrisse avec un pareil salaire...

Le sel 

La fabrication du sel occupait également, l'été bien entendu, pas mal de petits propriétaires.
La penthière d'Angoulins était à ce moment en pleine production. De la pointe du Chay jusqu'au bourg d'Angoulins, pas un seul marais salant n'était abandonné et par les années de production, dans cette étendue de terrain de 100 hectares environ, les tas de sel d'un blanc immaculé n'étaient pas rares. Il faut dire que le sel d'Angoulins était renommé par sa blancheur et son bouquet.
Ce métier non plus n'était pas reposant ; il exigeait de la part de celui qui le pratiquait, une connaissance et une attention de tous les instants. 
Faire du sel était un art, sa blancheur dépendait de la façon dont il était tiré. Le saulnier maladroit (il n'y en avait pas beaucoup) qui, en le tirant, lavait mal son sel, avait du sel gris d'une mauvaise odeur, pendant que le sel bien tiré, bien lavé, avait une odeur d'un blanc de neige et une odeur de violette bien caractérisée.
Quelques marais fournissaient naturellement du sel un peu gris.
Les bosses étaient toutes cultivées à la main. On y semait du blé, de l'orge, et des fèves. Tous ces terrains étaient labourés à sillons à la bouelle. La bouelle était une houe à main, très large, emmanchée de telle sorte que, pour travailler avec cet outil, il fallait avoir la tête presque sur la terre. Vous voyez la position. 
Ces terrains d'alluvions étaient d'une fertilité étonnante, les céréales et les fèves n'avaient pas besoin d'engrais pour fournir de belles récoltes.
Cette fertilité était entretenue par les apports de tous les produits de recurage des fossés, des jards et des marais ; beaucoup de varech y était transporté. Enfin, en un mot, cette partie de la commune était témoin d'un mouvement important qui durait toute l'année, parce qu'après cette période de fabrication venait celle de la livraison qui nécessitait de nombreux attelages à cause des mauvais chemins et d'une assez importante main d'œuvre. Là comme ailleurs, il fallait savoir se contenter de peu, puisque le sel rendu à La Rochelle se vendait 1,50 F les 100 kilos !
Quel travail, cependant, représentait la préparation d'un marais salant ! Dès le mois de mars, les saulniers, qui s'étaient déjà, à cette époque, groupés en syndicat dont le règlement était très sévère, se réunissaient pour le nettoyage des divers canaux (les chenaux). Il fallait que ces cours d'eau soient en très bon état pour permettre l'évacuation facile de l'eau des marais, ainsi que pour permettre aux saulniers leur alimentation en eau de mer.
Ensuite c'était le nettoyage qui s'imposait. Il fallait enlever toute la boue qui s'était déposée au cours de l'hiver. Ce travail devait recommencer après chaque pluie un peu abondante.
Et lorsque le moment de faire du sel était venu, le saulnier attendait quelque fois longtemps le soleil qui ne venait pas et c'était alors la grève des bras croisés, mais forcée celle là.
Quelquefois c'était un orage, suivi d'une pluie diluvienne qui mettait le marais sous l'eau. Il fallait évacuer cette eau douce et recommencer à nettoyer.
Je ne crois pas qu'il puisse se trouver sur terre un métier dont les produits soient moins sûrs.
Tout cela est disparu. A peine si deux ou trois propriétaires continuent encore l'exploitation de marais salants qu'ils tiennent de l'héritage de leurs parents. Tous les autres ont été transformés en marais gâts dont les parties hautes, les bosses, fournissent une herbe de toute première qualité. Quelques marais ont été transformés en marais à poissons. D'autres sont utilisés en partie pour l'élevage des huîtres, mais la plupart sont abandonnés.

La fête de la Société, les foires

A cette époque déjà, et probablement par nécessité, par raison d'économie, quelques modestes essais de groupement avaient déjà fait leur apparition : boulangeries actionnaires, sociétés de secours mutuels, etc. Dans mon village la société de secours mutuels, qui existe encore du reste, groupait à l'époque les 7/8 de la population. Moyennant une cotisation de 1 F par mois, le mari et la femme avaient droit aux visites de médecin et aux médicaments; les enfants aux visites seulement. 
Je me rappelle la parfaite entente qui régnait alors au sein de cette société ; aucune division ni politique ni religieuse ne venait la troubler et une fête chaque année, le jour de la Fête-Dieu, réunissait tous les participants.
On se réunissait à la salle de réunion et après l'appel on se dirigeait, en bon ordre, sur deux rangs, précédés de la musique, vers l'église.
Tous les sociétaires étaient obligés d'assister à la messe. Tout était préparé à l'église pour recevoir tout ce monde. Je revois dans l'allée principale de la vaste église, ainsi que dans les allées latérales, les bancs installés pour les mutualistes, habillées de leurs plus belles tenues.
Le costume habituel était alors la blouse, mais ce jour là tout le monde devait être en paletot.
Chacun, pour la circonstance, sortait de son armoire son costume qu'il ne portait qu'une fois l'an, ce jour, à moins que ce ne fut pour un mariage. Les plus âgés, les vieux, de vieux paletots qui dataient de Charles X. Les femmes très nombreuses ignoraient le chapeau. C'étaient les petites coiffes de l'Aunis (les canettes), les bonnets chez les personnes âgées et quelques capots de Marans qui se portaient à l'époque. Tout cela ne manquait pas de pittoresque. 
Après la messe toujours en ordre et musique en tête, on allait présenter un gâteau aux honoraires. Les gâteaux étaient portés à l'épaule par quatre sociétaires sur un brancard, fleuri et décoré pour la circonstance. 
Devant le demeure de chaque honoraire, la musique jouait un morceau et le Président présentait un gâteau à l'intéressé qui remerciait et invitait habituellement les membres du bureau à boire avec lui.
C'était une charmante fête à la réussite de laquelle tout le monde concourait et qui permettait aux travailleurs de la terre de passer une bonne journée qui leur faisait toujours le meilleur souvenir.
Aujourd'hui, la société existe encore, mais la fête de la société a disparu depuis longtemps, on en parle cependant bien souvent, surtout entre vieux du temps.
Les distractions étaient rares à l'époque, les théâtres ne se comptaient pas par douzaines (du reste ils n'auraient pas fait leurs frais, bien que les tarifs s'étaient plutôt réduits, on n'avait pas les moyens de se payer tout ça).
Par contre les assemblées ou frairies étaient, bien entendu, plus suivies qu'aujourd'hui. Certaines même revêtaient un caractère particulier.
Ainsi la foire du Thou, aux environs d'Aigrefeuille, était extrêmement curieuse du fait que de très loin à la ronde, on s'y rendait pour y manger des anguilles.
Ce jour-là, la place était trop petite pour recevoir tous les visiteurs. Des tentes immenses y étaient dressées sous lesquelles des cuisines improvisées étaient installées.
De grands récipients pleins d'anguilles étaient là attendant la clientèle qui ne faisait jamais défaut. Les tonneaux étaient alignés à côté et je vous assure qu'il s'en liquidait ce jour.
Les rôtissoires étaient plus rudimentaires.
Beaucoup de clients, impatients, le personnel ne pouvant suffire, faisaient eux même rôtir leurs anguilles sur une énorme braise, ils en surveillaient la cuisson en activant le feu avec leur chapeau ou leur casquette.
Les tentes ne désemplissaient pas de toute la journée. On ne peut que se faire difficilement une idée du mouvement d'une journée semblable. Les bals étaient nombreux, de même que les orchestres, qui ne ressemblaient pas aux jazz d'aujourd'hui et ce n'était pas le silence qui régnait sur la grande place du Thou.
La foire de La Jarne (8 septembre) était la foire aux melons et aux oignons. Les tas de melons et d'oignons étaient alignés dans la rue principale et la aussi, les visiteurs étaient nombreux qui venaient y faire leurs approvisionnements. Disparue également cette vieille coutume ! La foire de La Jarne si gaie, si pleine de mouvement alors, est aujourd'hui, comme les autres foires du reste, devenue sans importance ; à peine si quelques rares cousins ou amis viennent rendre ce jour là visite à leurs familles.
A Salles/mer, on profite toujours de la foire (24 juin) pour procéder au couronnement de la Rosière, laquelle était choisie par ses camarades du même âge. Cette fille devait s'être fait remarquer par sa bonne conduite.
Condition particulière, l'élue ne devait pas avoir été domestique dans une ville.
Cette coutume avait été instituée par un habitant de la localité M. Even, lequel avait légué à la commune de Salles des propriétés à condition que le revenu en soit affecté à la dotation d'une jeune fille méritante.
C'est ainsi que depuis 1875, chaque année, le jour de la Saint Jean, jour de la frairie, il est procédé à Salles/mer, en grande pompe, au couronnement de la Rosière.
Les foires de La Rochelle, elles mêmes offraient un spectacle assez curieux. C'était à cette époque où les automobiles n'étaient pas communes l'arrivée des promeneurs qui étaient légion. Il en venait de très loin en charrettes traînées par de gros chevaux de labour attelés de leurs gros harnais. Ces charrettes installées pour la circonstance avec des planches qui servaient de bancs étaient pleines de monde, les femmes vêtues de leurs plus beaux atours.
Les fermiers, eux, venaient en char à banc, en tilbury et beaucoup venaient à pied.
Les rues étaient encombrées de ces véhicules et faisaient de notre cité un curieux garage.
Tous ces gens apportaient habituellement leurs provisions et on pouvait voir les marches de la Cathédrale totalement occupées par des gens en train de se restaurer. D'autres mangeaient dans leur charrette et même un peu partout. C'était curieux et inédit.
Et avant de terminer, il ne serait peut-être pas déplacé de dire un mot de petits artisans ambulants qui, eux aussi, donnaient un peu de vie à cette époque déjà lointaine.
C'étaient les ramoneurs, à la figure aussi noire que leurs vêtements, que l'on voit plus que bien rarement aujourd'hui et qui étaient si nombreux alors. Chaque année, au mois d'octobre ou novembre, on les revoyait. C'était à peu près toujours les mêmes et je me souviens encore de leur passage dans ma commune. Ils venaient demander l'hospitalité à mon père.
Ils mangeaient toujours à la maison et couchaient dans la grange.
Les vitriers, dont on connaît la chanson, avec leur hotte derrière le dos, les savetiers, les marchands de dentelles, d'étoffes, le rétameur ambulant qui s'installait sur la place publique (...) 
Pendant longtemps ils sont revenus, fidèlement, chaque année à peu près à la même époque ; puis on ne les a plus revus et tout cela a disparu, tombant comme tout ce dont je vous ai entretenu dans le domaine du passé.
Pendant toute cette longue période de crise, la misère du paysan a été véritablement bien grande, l'argent était rare et nombreux sont ceux qui sont morts à cette époque sans avoir vu un billet de mille francs.
Ce n'est que vers 1890 qu'il est venu à l'esprit d'un brave paysan de Surgères, Biraud, de former la première laiterie coopérative, idée que M. Rouvier, sénateur de la Charente-Inférieure, réussit à faire accepter par le monde agricole du département.
C'est alors que la France entière assista, étonnée, au redressement magnifique des paysans de notre région. Il ne fallut pas plus de douze années pour que l'installation coopérative de laiterie ait atteint une réelle importance qui n'a fait qu'augmenter depuis. Cette organisation changea de tout en tout la face des choses.
Le cheptel augmenta dans des proportions considérables. Avec le lait, le paysan eut de l'argent. Avec le bétail, le cultivateur eut beaucoup d'engrais à sa disposition et avec de l'engrais il put récolter du blé.
Et c'est vers 1895 ou 1896, qu'il faut situer la fin de cette crise qui avait quand même duré vingt ans, tant il est vrai, hélas, qu'une crise ne se résout pas aussi facilement que certains le croient.
Un peu plus tard, vers 1896, apportant un soulagement dans le travail, sont apparues les machines agricoles. Les paysans, moins pauvres, purent en acheter et on vit alors fonctionner dans les champs, faucheuses, moissonneuses, râteaux mécaniques, charrues brabant, etc.
Alors disparurent faucheurs, moissonneurs, faneurs à la main et avec eux les vieilles coutumes ainsi que la façon de vivre et de travailler.
Aujourd'hui, tout ou à peu près se fait mécaniquement, l'agriculture est industrialisée.
Le paysan instruit, ne manque pas de directives, il sait toujours où se procurer les conseils dont il a besoin et ne fait rien au hasard. Il sait faire et fait produire le maximum à la terre qu'il cultive. 
Le paysan d'il y a cinquante ans était de goûts simples et modestes, le besoin de distraction ne se faisait pas beaucoup sentir chez lui, du reste, rien ne l'attirait, les théâtres étaient rares, les cinémas n'avaient point encore fait leur apparition. Il savait se contenter du peu qu'il pouvait se procurer.
D'autres temps sont arrivés, une période de prospérité a succédé au plus grand cataclysme des temps modernes. Le paysan est devenu un Monsieur qui gagna plus d'argent qu'il n'avait jamais espéré. Il eut tôt fait de changer sa façon de vivre, comme les autres, il a voulu profiter des plaisirs que pouvaient lui procurer ses moyens d'existence qu'ils n'avait jamais connus. Je ne sais si on peut lui adresser des reproches. La génération de cette époque qui n'avait point connu la vie de ses parents crut que cet état de choses devait durer toujours.
Hélas ! la désillusion ne se fit pas longtemps attendre. Elle fut terrible. A cette^période de facilité succéda bientôt la période que nous vivons actuellement.
L'agriculteur cultive toujours avec le même amour et il récolte du grain qu'il ne peut plus vendre.
Il est pauvre avec ses pleins greniers. Son bétail ne lui rapporte plus rien ayant perdu les trois quarts de sa valeur. Il est menacé d'une crise sur le lait, la seule chose qui lui restait.
Et, devant ce désastre, il se demande avec angoisse quand et comment il pourra sortir de cette impasse qu'il n'avait pas prévue.
Alors nous, les vieux, qui avons vécu deux époques bien différentes, nous nous demandons si des deux époques nous ne regrettons pas l'ancienne et nous nous prenons souvent et malgré nous à pleurer ce temps de notre jeunesse, nos vieilles coutumes disparues mais non oubliées.


Témoignage de Pierre Lhoumeau (1935)

 







Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire