Les sépultures de la famille Seignette à Angoulins


Dans les années 1980, alors que des travaux d’aménagement ont lieu derrière l’actuelle mairie, il est fait état de la découverte d’ossements en contrebas d’un talus adossé à l’enceinte de la propriété, tout près du bassin, dans le passage reliant actuellement les écoles élémentaires et la maternelle. Véritable(s) squelette(s) humain(s) ou simples restes d’ossements animaux ? Toujours est-il que les témoignages vont alors bon train. Quelques os et d’aucuns parlent déjà d’un vieux cimetière...
Nous avons cherché à comprendre l’origine de cette effervescence, certains anciens s’appuyant sur une tradition orale persistante : des sépultures oubliées...

Notre enquête débute autour de la famille Seignette autrefois propriétaire du domaine aux XVIIIe et XIXe siècles. En effet, première surprise, l’un des biographes de la famille, un descendant du nom de Sidney Monlun[1], rapporte bel et bien au début des années 1900 l’existence de sépultures familiales. Parlant de Marguerite Ladame[2] il dit : « Marguerite naquit à Bordeaux en 1785. Ce paraît être vers 1805 qu’elle rencontra un riche rochelais, Arzac Seignette[3] (...) De cette union naquirent trois filles et un fils : Elisa[4] en 1808, Camille[5] en 1811, Arzane[6] en 1815, enfin un fils Arzac[7] en 1817. Elisa épousa Frédéric Poutier[8] et, devenue veuve, son cousin Paul Monlun[9]. Camille devint la femme de Félix Callot[10]. Arzane, devenue veuve sans enfant de Monsieur Lannus[11], épousa en secondes noces, Charles Meyer[12]. Cette heureuse famille était au comble de la joie, lorsque ce fils tant désiré et tant chéri lui fut ravi en peu de jours, le 12 décembre 1824, à l’âge de sept ans. Son père, déjà souffrant, ne put supporter ce malheur et il suivit son fils dans la tombe, le 19 juin 1825 : il n’avait que 50 ans. (...) Il faut lire les lettres écrites par la malheureuse mère et veuve dans un album, auprès de ces tombes. C’est à Angoulins, dans son cher parc, que s’élevait le monument où elle se rendait chaque jour, ne trouvant d’apaisement à sa douleur qu’à prier et à parler à son mari. »[13]

La rumeur prend donc bien corps d’après une histoire vraie.

Nos investigations suivantes montrent, ensuite, que ce témoignage connait un antécédent familial, attestant bien des sépultures privées : Le 23 août 1785, Jeanne Marie Anne Perdriau[14], la mère d’Elie Louis Seignette[15], meurt au bourg d’Angoulins où elle réside ainsi que le montre le registre des inhumations protestantes de La Rochelle Saint-Sauveur[16]. Ce décès intervient « dans la maison de campagne de son fils ». A ce sujet, et dans les papiers qui nous parviennent de la justice seigneuriale de la châtellenie d’Angoulins, nous avons pu retrouver une requête[17] émanant « d’Elie Louis Seignette, négociant et officier de la monnaie de La Rochelle et Paul Hardy, capitaine de navire et Marie Anne Françoise Pauline Seignette[18] son épouse, demeurant tous à la Rochelle », fils et gendre de la défunte. Dans ce document, ils supplient le sénéchal de leur permettre de faire inhumer, « dans la forme usité », le corps de la dite veuve Seignette. Il faut dire que depuis 1781, les parents d’un religionnaire protestant défunt profitent d'un arrêt du Parlement de Paris « qui enjoint aux officiers de police de rendre gratuitement et sans frais des ordonnances pour inhumer ceux à qui la sépulture ecclésiastique n’est pas accordée »[19]. Aussi, le 24 août 1783,  le sénéchal juge ordinaire civil et criminel et de police de la châtellenie et haute justice d’Angoulins ordonne « que le corps de demoiselle Marie Anne Jeanne Perdriau veuve du sieur Elie Seignette négociant demeurant ordinairement en la ville de La Rochelle sur la paroisse Saint-Nicolas, décédée ce jour 24 août 1785 en ce bourg maison du dit Elie Louis Seignette châtellenie d’Angoulins, âgée de 73 ans ou environ ainsi qu’il est déclaré par le déposant, serait inhumée à la manière accoutumée et conformément à l’arrêt de la cour du Parlement du 29 mai 1781 concernant l’inhumation des protestants. Que notre présente ordonnance sera enregistrée par notre greffier sur le registre à cet effet et notre dit greffier tenu d’en délivrer des extraits à ceux qui les requerront »[20] .
En ce sens, le registre des sépultures des réformés des bourgs d’Aunis de confirmer : « Le 24 août a été inhumée à Angoulins, dans la maison de son fils, dame Marie Anne Perdriau veuve du sieur Elie Seignette, négociant, née en cette ville et résidant à Angoulins, décédée du jour d’hier âgée d’environ 74 ans. » [21]

C’est donc Arzac Seignette père, son jeune fils (lui aussi prénommé Arzac) ainsi que la grand-mère du premier, Jeanne Perdriau, qui sont enterrés dans le domaine familial. Un vieil atlas familial des propriétés d’Arzac illustre l’endroit : sur l’une des planches, nous remarquons dans l’angle nord-ouest du jardin anglais, dessiné, au pied d’un grand arbre, un monument surmonté d’une croix. Sur un document semblable, établi quelques années plus tard pour le compte de la famille Monlun, figure au même endroit, un grand emplacement demi-circulaire marquant une place spéciale dans le coin du jardin d’agrément. De même, peut-être Claire Doublet (1741-1799), et Elie Louis Seignette (1742-1805) furent-ils, eux aussi, ensevelis à cet endroit ? Rien ne nous est connu concernant leurs inhumations... Par contre pour Marguerite Ladame, elle, semble bien avoir été enterrée elle aussi dans le jardin Seignette comme l’affirme encore leur descendant avec ce passage : « Au moment de la vente [de la propriété] par Elisa de La Verpillière[22], son mari[23], par respect pour les cendres de ses ancêtres, fit exhumer du parc les corps d’Arzac, de sa femme et de son fils ; ils furent transportés au cimetière entourant la curieuse église du XIe siècle. »[24], ou bien dans cet autre extrait : « le conseil municipal (...) désaffecta ce cimetière pour en ouvrir un nouveau interurbain, ce qui donna une place publique (...) En 1916, Sidney Monlun de passage à Angoulins ne put repérer dans l’amas de pierres tombales gisant pêle-mêle au pied d’un mur celles d’Arzac, de sa femme et de leur fils... »[25].
Ces deux citations témoignent de deux dates avérées : la vente de la propriété en 1896 et le déplacement du cimetière lors de la création de la place en 1905.

Finalement, nous apprenons que le 2 septembre 1917 « une excursion faite à Angoulins par les auteurs de ces notes généalogiques et auxquelles s’était jointe Louise Monlun, pour rechercher à nouveau au cimetière la tombe de leur grand oncle et grande tante Seignette amena, après recherche minutieuse, la découverte de cette tombe par Louise Monlun, le marbre noir blanchi par le temps, n’a pour épitaphe que cette simple inscription « Le fils 1825, le père 1825, la mère 1843 ». Aucun doute n’est possible sur l’identification de la tombe, les trois dates correspondent à celles des décès. La tombe est placée au cimetière d’Angoulins, au pied du mur de clôture, à l’extrémité de l’allée fermant le bras gauche de la croix dont la base par de la grille d’entrée » [26]

Nous avons pu, avec ces indications, retrouver nous aussi la concession dans le cimetière actuel. Sous une modeste pierre tombale de simplement trois plaques, repose, donc, notamment, Arzac Seignette, un célèbre angoulinois sur lequel nous reviendrons prochainement !



Note de Denis Briand






[1] Sidney Monlun (milieu XIXe siècle - 1927), fils d’Henri et de Maria Bossange.
[2] Marguerite (Marie Marguerite Camille) Ladame (1778-1845)
[3] Arzac (Louis Arzac) Seignette (1775-1825) fils d’Elie Louis (1742-1805) et de Claire Doublet (1741-1799)
[4] Élisa (Jeanne Louise Marceline Élisa) (Marceline Louise Élisa) Seignette (1809-1860)
[5] Camille (Jeanne Camille) Seignette (1811-1881)
[6] Arzanne (Louise Anaïs) (Jeanne Arzanne) Seignette (1816-1872)
[7] Arzac (Jean Elie Louis Arzac) Seignette (1818-1824)
[8] Augustin Frédéric (Frédéric) (Frédérico) (Frédéric Augustin) Poutier (1798-1842)
[9] Paul Monlun (1816-1872)
[10] Théodore Félix (Félix) (Théodore) Callot (1797-1871)
[11] Philippe Nicolas Meyndert (Philippe Meyndert) (Meyndert) Lanusse (1813-1856)
[12] Charles (Charles Rodolphe) Meyer (1815-1881)
[13] Tapuscrit Monlun, page 71. Collection privée
[14] Marie Anne (Jeanne Marie Anne) (Marie Anne Jeanne) (Marie Jeanne) Perdriau (1712-1785) épouse Élie (Élie Louis) Seignette (1701-1752)
[15] Elie Louis Seignette (1742-1805) marié Claire Doublet (1741-1799)
[16] Arch. dép. de la Charente-Maritime, Registres paroissiaux, La Rochelle, Saint-Sauveur réformés habitants des bourgs Aunis - S 1781-1788 en ligne, vue 8/13. Remerciement Dominique Fontaine.
[17] Arch. dép. de la Charente-Maritime, B 2088, Juridiction seigneuriale d’Angoulins, Requête signée SEIGNETTE tendant à faire inhumer dame Marie Anne Perdriau en date du 24 août 1785
[18] Marie Anne Françoise Pauline (Marie Anne Françoise) Seignette (1743- ?)
[19] Isambert 1821-1833, page 32
[20] Arch. dép. de la Charente-Maritime, B 2088, Juridiction seigneuriale d’Angoulins, Ordonnance du juge en date du 24 août 1785
[21] Arch. dép. de la Charente-Maritime, Registres paroissiaux, La Rochelle, Saint-Sauveur réformés bourgs Aunis - S 1781-1788 en ligne, vue 8/13
[22] Jeanne Julie Thérèse Marie Élisa (Élisa) Monlun (1851-1907)
[23] Théodore Pamphile LeClerc de la Verpillière (1839-1908)
[24] Tapuscrit Monlun, page 78. Collection privée
[25] Tapuscrit Monlun, page 79. Collection privée
[26] Tapuscrit Monlun, page 108. Collection privée

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire