Un document intéressant retrouvé
parmi les archives de l’administration municipale de la ville de La Rochelle [1],
nous a récemment été communiqué [2].
Il s’agit d’un courrier daté du 12 décembre 1810 qui émane du maire d’Angoulins
et est destiné à celui de La Rochelle. Cette lettre entre, vraisemblablement, dans
le cadre d’une enquête relative à la fabrication de sirop de raisin dans les
environs de La Rochelle. Son contenu nous a conduit à nous interroger sur la question
du sucre à Angoulins et Châtelaillon : denrée rare et coûteuse à cette
époque, il s’agit d’un produit réservé à une élite. Aussi, a-t-il, été consommé
dans ces deux paroisses au XVIIIe siècle ? Dans l’affirmative, par qui et
sous quelle forme ? En l’état des connaissances, de quels indices
disposons-nous pour attester de cette consommation ? Voici les quelques questions
qui furent à l’origine de cette petite note.
En 1810, aucune production de
sirop n’a lieu à Angoulins ainsi que nous l’apprend le maire, Elie
Bérigaud [3]
: « en réponse à votre courrier
concernant la fabrication des sucres et sirops de raisin que nos habitants
auraient pu extraire cette année, dans cette commune, il n’est pas à ma
connaissance que personne se soit livré à la fabrication de ce sirop ». L’édile
explique que « la première cause en est
de la rareté du bois qui est aussi cher ici que le pain ». Pourtant, en
étudiant les inventaires des maisons des plus fortunés (c’est à dire principalement
les résidences de campagne des rochelais), nous trouvons bien des équipements
de chais permettant une telle production. Le maire nous explique alors cette
absence de production : « il n’y a
que cinq maisons bourgeoises qui auraient pu se livrer à cette fabrication mais
ils sont habitués à se servir de miel ou cassonade et ils se sont dit qu’il
leur sera moins coûteux d’acheter du sirop que d’en fabriquer ».
Le miel, dont il est question ici, semble avoir une production locale.
En effet, quelques observations portées sur le corpus mobilier angoulinois et
châtelaillonnais nous livrent une demi-douzaine d’éléments en attestant : En
1695, dans la chambre principale de la métairie de Sécheboue, le marchand Isaac
Aubineau [4]
possède parmi un lot de vaisselle, un ustensile destiné à être utilisé en lien avec
les « mouches à miel »[5].
Outre cet exemple, les inventaires font essentiellement état de ruches :
en 1688 [6],
le marchand Michel Moreau [7]
détient par exemple trois bournais [8]
dans le logement de son treuil et deux autres dans son jardin. Un siècle plus
tard, en 1789, dans une autre métairie, celle d’Angoute, une adjudication de
biens nous permet de constater que le fermier des lieux, François Robelet [9],
exploite encore avant son trépas, « deux
bournais » [10].
De la même manière, en l’an IV du calendrier révolutionnaire, « quatre bournées ou ruches à miel propre à
mettre des essaims dits d'abeilles » [11]
sont adjugés lors d’une petite vente mobilière. Ils sont détenus par un simple
cultivateur, Louis Brisson[12]
et restent entre les mains de sa veuve pour le prix de cinq livres. Quelques
années plus tard, en 1805, dans la vaste propriété d’Elie Louis Seignette [13],
nous relevons un « vieux bourné »
qui est remisé dans le « petit chai
sous la chambre des domestiques » [14].
En l’an XI, enfin, un procès-verbal de biens affermés [15]
atteste de la présence, dans le jardin du sieur Reignier, d’un bournais « qui reste à la garde et surveillance des
preneurs qui en prendront le même soin tant à les propager par les essaims qui
en pourront survenir que tout autrement, et s'il survient dans le cours de la
présente ferme de nouveaux bournés, ils appartiendront aux preneurs, mais dans
le cas où les ruches à miel du bourné ci-dessus décrit viendrait dans la suite
à prendre la suite ou à périr par l'effet des mauvais temps, gelée, ou
autrement, en ce dernier cas les preneurs ne seront tenus que de remettre le
bourné dans l'état où il sera ».
Quant au sucre qui se consomme à Angoulins, nous ne pouvons en établir
la provenance d’achat : les dettes passives examinées dans les successions
des angoulinois ne sont pas assez disertes à ce sujet et aucun stock n’est constaté
dans les inventaires des marchands angoulinois. Ce que l’on observe en revanche,
pour toute la seconde moitié du XVIIIe siècle, c’est que ce sucre est bel et
bien un produit de luxe, qui n’est utilisé que par les plus aisés : ainsi,
les indices de cette consommation (avec la présence, dans les inventaires, de vaisselle
spéciale) ne se relèvent que dans les maisons des bourgeois :
En ce sens, nous notons, dans l’une des chambres hautes de la
résidence d’Henriette Assailly[16],
« un sucrier de terre d’Angleterre »[17].
L’un de ses contemporains, le capitaine de vaisseau Charles Maccarthy [18],
possède, lui, trois sucriers dans le buffet de l’une des chambres hautes de sa
maison [19].
L’inventaire de succession [20]
du cordier rochelais Simon Angoulon [21],
allié à l’importante famille Massé, nous livre également en 1770, un sucrier
conservé dans l’une des armoires. Enfin, deux ventes successorales effectués
dans les familles Raboteau et Seignette au début du XIXe siècle produisent, de
même, d’autres sucriers, ceux là « de
fayence »[22].
La production de confitures témoignant indirectement de l’emploi de
sucre à Angoulins, nous avons aussi examiné les objets en lien avec elles. Trois
indices de consommation de confitures, sans preuve de production, peuvent déjà être
cités ici : En 1754, tout d’abord, dans l’armoire de la cuisine de l’auberge
de la maison de la Croix-Blanche, où sont quatre « pots à confitures de fayence »[23].
Dans ce cas, aux vues de l’activité de marchand de Jean-Bapstiste Huas[24],
ces quatre pots ne peuvent être fermement associés à une production. Le doute
demeure aussi alors que nous nous relevons seulement « six pots à confiture » chez Charles
Maccarthy [25] en 1766
ou bien « deux boites à confiture en
fayence » dans l’armoire d’une chambre basse chez le cordier Simon
Angoulon [26]. Mais
quand, dans les résidences secondaires dotées de grands vergers, les étagères se
couvrent de cette vaisselle dédiée, le doute d’une production nécessitant du
sucre n’est plus permit : le cas est flagrant chez Elie Louis Seignette [27],
en 1805, où nous trouvons « quatre-vingt
dix pots et boites à confiture de fayence » [28]
dans le vestibule. Dans la même maison, nous relevons encore « six pots et boites de confiture vides »
dans un buffet, « vingt-quatre
boites à confiture de fayence » dans la dépense et enfin « sept pots à confiture en fayence »
dans le buffet de la cuisine [29].
Eclairant une production sur place et dissipant les derniers doutes, nous
observons la présence dans cette même cuisine de « deux poëlonnes à faire des confitures ». Nous retrouvons
d’ailleurs le même indice en 1767 dans l’inventaire après décès du puissant
David Oualle [30] avec
« une poëlonne à confiture de cuivre
rouge » qui siège « sur le
dressoir de la cuisine » [31].
Le document de 1810, nous livre une autre donnée importante. Au sujet
des volumes de sucre consommés annuellement à Angoulins, le maire nous
apprend : « nos paysans ne sont plus
habitués à se servir de sucre ni cassonade, il n’y a dont que ces cinq maisons
dont les pères de famille peuvent en faire usage et consommer par an 60
kilogrammes soit miel ou cassonade et par économie et si comme on le prétend du
sirop de raisin il soit nécessaire de doubler comparativement au sucre ou cassonade
en ce dernier cas en cette commune la consommation pourrait bien s’élever à 120
kilogrammes joint aux confitures que chaque famille peut faire chaque année. »
L’édile ajoute
une dernière information : « quant
à Châtelaillon dont je suis maire, il n’y a pas de vignes, elle ne se compose
que de cabanes métairies et de cinq à six maisons de l’ancien bourg. A la
vérité, il y a deux auberges sur la grande route de La Rochelle à Rochefort et
si ces dernières consomment du sucre ou cassonade ce ne peut être que pour les
voyageurs car les aubergistes qui sont des artisans, à peine font-ils usage de
miel. »
Voici les modestes informations
que nous avons pu recueillir en l’état actuel de nos recherches pour les
paroisses d’Angoulins et de Châtelaillon au XVIIIe siècle. Dans les années à
venir, les dépouillements d’archives qui se poursuivent viendront éclairer, à n’en
pas douter, ce sujet.
article de Denis Briand
[1] AMLR,
2D6-7
[2] Nous
remercions amicalement l’historien Jean-Claude Bonnin
[3] François
Elie Bérigaud, propriétaire notaire et maire (1760-1828)
[4] Isaac
Aubineau, marchand et fermier ( ? - 1695)
[5] un ébrechon ?
cf ADCM, Notaire Cellier, 3E 1832, sous liasse 1695, Acte n°13 page 3,
Inventaire Aubineau - Notre référence : EH 217.
[6] ADCM,
Notaire Cellier, 3E 1831, sous liasse 1687-1690, Inventaire Moreau - Notre
référence : EH 1947.
[7] Michel
Moreau, marchand (1620-1688)
[8] terme
vernaculaire de la ruche
[9] François
Robelet, cultivateur à boeuf et métayer (1735-1789)
[10] ADCM,
Notaire Boucheron, 3E 904, Inventaire et vente mobilière Robelet-Girard, cf
article n°33 - Notre référence : EH 4176
[11] Collection
privée, Notaire Bérigaud, an IV, Vente mobilière Brisson, cf article n°50 -
Notre référence EH 610
[12] Louis
Brisson, tonnelier, pêcheur, marchand Brûleur, saunier, cabaretier, laboureur à
bœufs, cultivateur (1753-1795)
[13] Elie
Louis Seignette, maire, agriculteur, négociant, pharmacien, armateur, propriétaire
(1742-1805)
[14] ADCM,
Notaire Bérigaud, an XIII, Inventaire Seignette-Doublet - Notre référence EH
542
[15] ADCM,
Notaire Bérigaud, an XI, Procès verbal Reignier - Bonnaud et Geneteau - Notre
référence EH 557
[16] Henriette
Assailly, propriétaire (1688-1765)
[18] Charles
Maccarthy, propriétaire, écuyer, capitaine de frégate / vaisseau du Roy, chevalier
de Saint-Louis (1706-1765)
[19] ADCM,
Notaire Fleury, 3E 1637, année 1766, Inventaire Maccarthy Latouche x Guillimin
- Notre référence : EH 4694.
[20] ADCM,
Notaire Roy, 3E 44, Inventaire Marie Massé - Simon Angoulon - Notre
référence : EH 5109
[21] Simon
Angoulon père, marchand cordier ( ? - 1749)
[22]
Collection privée, Notaire Bérigaud, an VII, Vente mobilière Raboteau
-Seignette - Notre référence : EH 715 ; Collection privée, Notaire
Bérigaud, an VII, Vente mobilière Seignette - Notre référence : EH
517.
[23] ADCM,
Notaire Lescuyer, 3E 96-01, Inventaire Huas - Notré référence : EH 754
[24] Jean-Baptiste
Huas, menuisier (maitre), aubergiste (1694-1754)
[25] cf
supra ; ADCM, Notaire Fleury, 3E 1637, année 1766, Inventaire Maccarthy
Latouche x Guillimin - Notre référence : EH 4694.
[26] cf
supra ; ADCM, Notaire Roy, 3E 44, Inventaire Marie Massé - Simon Angoulon
- Notre référence : EH 5109
[27] cf
supra
[28]
Collection privée, Notaire Bérigaud, an VII, Vente mobilière Seignette - Notre
référence : EH 517.
[29] ADCM,
Notaire Bérigaud, an XIII, Inventaire Seignette-Doublet - Notre référence EH
542
[30] David
Oualle, Inspecteur des fermes du Roi (1697-1767)
[31] ADCM,
Notaire Fleury, 3E 1639, Inventaire Oualle - Notre référence : EH 4713.
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